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في سبيل العروبة الحضارية - Sur le chemin de l'arabité civilisationnelle
4 novembre 2021

Le Baas. Une expérience originale arabe, par Elias Farah

Née sur les décombres de l’ère coloniale, la vague d’émancipation et de libération nationale qui a secoué l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine après la seconde guerre mondiale a pris, dans ce nouveau monde — baptisé tiers-monde —, la forme d’un courant puissant et généralisé. Ce courant a cependant revêtu des formes différentes, selon qu’il s’agissait de la nation arabe, de l’Inde ou de la Chine. Le problème de la liberté — c’est-à-dire de l’indépendance et de la démocratie — dans les pays de civilisation ancienne est apparu comme faisant partie d’une question plus vaste, celle de la renaissance culturelle. Il en fut ainsi en Inde, où le Mahatma Gandhi a déclenché le processus de la résurrection spirituelle en mettant à profit une conjoncture historique qui révélait la disponibilité de la nation indienne à revenir dans l’histoire pour redonner vie à sa personnalité culturelle et renouveler son énergie spirituelle, soumise, durant la longue période coloniale, à de multiples tentatives d’asphyxie. En Chine, le renouveau culturel s’est affirmé dans la longue marche qui l’a conduite à se transformer en une société révolutionnaire. Dans le monde arabe, le phénomène s’est manifesté par une cristallisation du concept de « renaissance arabe », l’émergence d’un mouvement révolutionnaire et la maturation d’une idéologie révolutionnaire.

Dans ces pays de grandes civilisations historiques, la contradiction débordait les frontières des patries et des Etats pour se situer au niveau de la nation, c’est-à-dire de la personnalité nationale, du patrimoine spirituel et de la culture. Dans une telle situation, l’expérience de la liberté ne pouvait conduire qu’à la révolution totale, rendue possible par l’accession à l’indépendance. Dans ce contexte, la libération implique la création de l’homme sur de nouvelles bases culturelles et la constitution de la nation dans le respect des intérêts de ses masses et le souci de mettre en valeur ses capacités d’imagination.

Elyas_Farah_-_Evolution_of_Arab_Revolutionary_Ideology

L’impérialisme ne pouvait se permettre d’ignorer cet enjeu, pas plus que l’impact désastreux que cette résurrection pouvait avoir sur son existence même ou la menace directe qu’elle pouvait représenter pour ses intérêts. Il a donc procédé à une « décolonisation » piégée, organisée de telle sorte que chacun des mouvements de libération déjà cités (en Inde, en Chine et dans le monde arabe) doive, au lendemain même de son indépendance, faire face à un problème épineux, de nature à entraver sa libération et sa renaissance. Ainsi, la proclamation de l’indépendance de l’Inde fut accompagnée, en 1947, par un morcellement du territoire indien. La révolution chinoise fut confrontée, dès 1949, à l’existence de Taiwan, hostile et menaçante. Enfin, la création, dès 1947-1948, d’une entité sioniste au cœur même de la nation arabe ne cessa d’exacerber la détermination des Arabes à lutter contre l’alliance impérialo-sioniste.

A la lumière de ces données, la nécessité d’une nouvelle pensée et d’une nouvelle approche de la réalité arabe s’est impérieusement fait sentir. C’est que les problèmes et les contradictions qui secouent le monde arabe sont devenus difficiles à résoudre pour les idéologies formées avant le Baas ou, plus exactement, nées dans le contexte culturel, sociologique et politique d’avant la seconde guerre mondiale. En effet, la plupart de ces idéologies n’étaient issues que de réactions spontanées à des situations exceptionnelles ou à des conflits secondaires, et ne pouvaient par là même ni assimiler globalement ni réellement comprendre les contradictions du monde arabe. A l’inverse, d’autres idéologies se révélaient tout aussi inadaptées pour n’être que les copies conformes de modèles sécrétés par les sociétés industrielles avancées, de ceux-là mêmes qui avaient conduit à l’entreprise colonialiste dans le monde sous-développé. A ces nouveaux problèmes il fallait apporter une réponse neuve. C’est la raison d’être du Baas en tant qu’idéologie arabe révolutionnaire capable d’assimiler et de comprendre la nouvelle conjoncture historique régionale et internationale en vue de réaliser les objectifs de la révolution arabe contemporaine. Ainsi « l’unité, la liberté et le socialisme » ont-ils été les trois objectifs que le Baas s’est assignés en priorité.

Une naissance sans contrainte

L ’idéologie du Baas se caractérise par le fait qu’elle est née libre de toute contrainte, puisqu’elle n’était, dès le départ, limitée par aucune considération théorique ni par des intérêts matériels précis, et pouvait ainsi échapper aux idées préconçues et aux abstractions philosophiques qui sacrifient la réalité à un scientisme fantaisiste. Il ne faut pas conclure pour autant que le Baas est bâti sur un vide idéologique qui le rendrait prisonnier d’un pragmatisme poussé à l’extrême, le priverait de vision globale et de la lucidité nécessaire pour appréhender cette phase historique dans son ensemble et pour assimiler intégralement le réseau d’oppositions et de mécanismes qui régissent l’évolution de la société arabe contemporaine. C’est cette « naissance sans contrainte » qui a fait de la pensée du Baas la plus apte à refléter les courants de l’époque, à puiser au plus profond de la cause arabe et à comprendre le monde nouveau qui s’est formé après la seconde guerre mondiale. C’est, répétons-le, cette absence de contrainte théorique qui lui a permis de conserver une vision sereine et pénétrante de son époque et de définir les moyens d’une renaissance arabe.

L’idéologie révolutionnaire arabe s’est, dès lors, trouvée condamnée par nécessité à reflétée la réalité. Comme l’a d’ailleurs souligné le fondateur du parti, « la lutte, dans les révolutions historiques, est organiquement liée aux valeurs éthiques qui appellent la création d’un homme nouveau (2) ». Et c’est cette dimension éthique et humaniste qui explique « la transparence et la sérénité de la pensée baasiste », reflet de la réalité au service d’une cause juste et qui veut s’identifier à la justice (3) : « On entend certains dire que l’arabisme est au-dessus de tout. C’est grave. Pour notre part, nous croyons que l’arabisme est au-dessus des intérêts, des tendances égoïstes et des considérations éphémères et vaniteuses. Il y a en revanche une chose, une seule, qui est au-dessus de l’arabisme : la justice. Voilà pourquoi notre mot d’ordre doit être : justice au-dessus de l’arabisme jusqu’à ce qu’arabisme et justice s’identifient. »

Le Baas a su éviter le piège de la philosophie et de la métaphysique traditionnelles en prônant une méthode scientifique inspirée du matérialisme dialectique. Ainsi a-t-il refusé le dogmatisme, en pratiquant au contraire une politique d’ouverture (4). Michel Aflak craignait, en effet, que « le mouvement révolutionnaire ne s’érige en dogme, figeant toute action qui se voudrait créative ».

Sur le plan idéologique et conceptuel, le Baas a opéré plusieurs distinctions (5) :

— Entre le « réalisme révolutionnaire » (qui s’inspire de la réalité pour la transformer) et le « réalisme défaitiste » (qui s’accommode de la réalité pour la justifier et l’exploiter) ;

— Entre la « pensée militante » (qui s’attaque aux problèmes internes de la nation) et la « pensée abstraite » ;

— Entre le « nationalisme » (en tant que réalité présente et vivante) et la « théorie nationaliste » (en tant qu’idéologie qui rend compte de manière conjoncturelle) ;

— Entre la réaction et l’islam, dont les liens avec l’arabisme sont évidents ;

— Entre le « nationalisme humaniste » et le « nationalisme chauvin »(qui s’apparente au racisme) ;

— Entre un « socialisme scientiste » (en tant que slogan abstrait et absolu) et un « socialisme scientifique » (basé sur une méthodologie d’analyse des structures sociales et de la nature de la révolution socialiste) ;

— Entre la « mentalité unioniste » et la « mentalité régionaliste »

— Entre la « pensée éclectique de l’unité » (qui consacre le morcellement) et l’« opposition au morcellement » ;

— Entre le « matérialisme historique » (où liberté et démocratie ne sont que des concepts idéaux) et la « conception humaniste de la liberté » (pour la création de ce que le mouvement de la renaissance arabe a appelé l’homme nouveau arabe) que sous-tend la lutte contre le défi impérialo-sioniste.

Il apparaît, à travers ce qui précède, que la pensée baasiste procède d’une démarche scientifique, dialectique et historique. C’est cette même démarche qui a permis au parti de relever l’importance du nationalisme dans les pays du tiers-monde, nationalisme qui reste indissociable de la lutte contre le colonialisme et de l’effort entrepris pour vaincre le sous-développement et rendre à l’homme arabe sa dignité. Cette conception oppose le Baas à toutes les conceptions internationalistes qui ont généralement à l’égard du nationalisme une attitude négative et prétendent qu’il constitue une phase en voie de disparition.

La voie arabe vers le socialisme

L’idéologie du Baas est née de la conjonction de trois éléments :

1) Le patrimoine national arabe, représenté par cette continuité spirituelle qui a préservé le lien entre le passé de la nation arabe et son présent. Cet héritage est aussi bien scientifique qu’artistique et spirituel, et il exprime le mouvement de la vie et l’évolution historique de notre nation ;

2) La pensée révolutionnaire dans le monde contemporain, caractérisée par l’avènement des masses, du socialisme et des nations en lutte pour la préservation de leur identité. L’interaction de la pensée baasiste avec ces courants de pensée révolutionnaire a été l’un des principaux fondements du Baas ;

3) Les défis actuels de la nation arabe : ils se concrétisent dans la lutte contre l’impérialisme, le sionisme et la réaction, et imposent l’unité arabe et l’abolition de l’exploitation de classe. Le Baas n’a jamais eu une pensée académique mais active, issue de toutes les luttes nationales. Les problèmes qui découlent de ces défis sont ceux de l’unité arabe, de la question palestinienne, de la démocratie et de la lutte pour le socialisme.

La formulation de la question arabe sous une forme théorique générale a ainsi été un élément fondamental dans la mise en place sur des bases solides de la lutte du Baas au cours de ses trente ans d’existence. La découverte de la « voie arabe vers le socialisme » et du caractère révolutionnaire de l’unité arabe ainsi que l’insertion du concept de liberté dans son contexte culturel ont été autant de raisons qui ont rendu le Baas apte à profiter des expériences précédentes et à considérer la nouvelle expérience révolutionnaire en Irak comme une base solide pour la lutte arabe.

L’entreprise menée par le Baas en Irak depuis le 17 juillet 1968 a permis l’avènement d’un modèle révolutionnaire original comportant les caractéristiques suivantes :

1) L’Irak a pu élaborer un modèle révolutionnaire qui a mis à profit les leçons des expériences arabes précédentes, définissant rigoureusement les différents types de relations entre le parti et le pouvoir, le parti et l’armée, l’avant-garde et les masses.

2) Le Baas n’a cessé, depuis qu’il est au pouvoir, de développer et d’harmoniser les divers aspects idéologiques, stratégiques et tactiques de son action révolutionnaire. Il a pu ainsi, à la différence de la plupart des régimes du tiers-monde, maintenir un lien permanent entre la théorie et la pratique, évitant ainsi de tomber dans le pragmatisme ou de pécher par excès d’idéalisme.

3) L’entreprise révolutionnaire du parti en Irak est issue d’une analyse critique de l’expérience de 1963, époque où le Baas avait déjà exercé le pouvoir. Le parti a pu ainsi tenir compte des erreurs d’organisation et de planification de l’expérience de 1963 et de celle de l’Egypte nassérienne. La stratégie définie par le neuvième congrès national, réuni huit mois après la défaite de juin 1967, était basée sur une analyse critique de la période qui a précédé cette défaite. Cette stratégie a servi de point de départ.

4) Le pouvoir révolutionnaire en Irak, mis en place par le Baas, a commencé très tôt à se libérer de toute contrainte susceptible de porter préjudice à sa souveraineté. C’est ainsi qu’il a affronté fermement et audacieusement les forces et les éléments hostiles qui pesaient lourdement sur sa destinée. Dès lors la lutte contre l’impérialisme et ses agents fut totale et sans merci.

(5) Une fois ce processus entamé, le parti n’a pas tardé à s’engager dans une coopération nouvelle avec les autres formations politiques progressistes, surmontant les antagonismes qui les opposaient traditionnellement. Cette initiative aboutit à l’adoption d’une charte commune et à la création d’un front national progressiste dirigé par le Baas, regroupant a ses côtés le parti communiste irakien, le parti démocratique kurde, les autres formations nationales et progressistes ainsi que les éléments indépendants de gauche.

6) Une telle initiative n’aurait pu aboutir si le pouvoir baasiste n’avait résolu l’un des problèmes les plus épineux de son histoire, le problème kurde, en reconnaissant les droits nationaux à cette minorité et en lui octroyant l’autonomie dans le nord du pays.

7) La nationalisation du pétrole irakien fut un pas décisif sur la voie de l’affirmation de la souveraineté nationale menacée par la mainmise des grandes compagnies multinationales sur ses ressources pétrolières. La nationalisation n’était pas seulement un événement économique. Elle a mis fin à toute une étape historique dans les pays arabes. Cette mesure fut ressentie comme un événement historique au niveau local et régional dans la mesure où elle a permis la réalisation d’un objectif essentiel, longtemps réclamé par les masses « Le pétrole arabe aux Arabes. »

8) La révolution du 17 juillet a mis ses ressources à la disposition des masses irakiennes et au service de la nation arabe. Elle a orienté ses réalisations agricoles et industrielles dans le sens des intérêts suprêmes de la nation arabe.

9) Le Baas a renoué une alliance solide avec les mouvements nationaux et progressistes dans les pays arabes et avec le mouvement de la résistance palestinienne dans le cadre d’une politique basée sur l’attachement aux droits légitimes du peuple arabe à libérer son territoire spolié de Palestine, sur la réalisation de l’unité arabe et sur la construction du socialisme dans la démocratie.

10) La révolution irakienne a consolidé les liens de solidarité et d’amitié avec les autres mouvements révolutionnaires dans le monde, avec les pays non alignés et le camp socialiste, sur la base du respect et de la solidarité avec les peuples qui luttent pour la liberté. le progrès et la paix. Le pouvoir révolutionnaire irakien a constamment recouru à une révision permanente de son action politique, afin d’augmenter la productivité nationale et de stimuler la créativité de la société irakienne.

Toutes ces mesures ne pouvaient, en fin de compte, que contribuer à concrétiser la stratégie définie par le huitième congrès régional du parti, qui a jeté la base d’un avenir prometteur, pour faire de l’Irak le bastion de la révolution arabe.

Elias Farah

(1Cf. Michel Aflak dans son livre Niktat Al Bidaya.

(2Michel Aflak, Pour le Baas (le monde du nationalisme progressiste), 1960, p. 198.

(3Ibid. De la vocation arabe, 1946 ;

(4Ibid., p. 40.

(5Cf. Pour le Baas, pp. 14, 30, 44, 135, 190, 194.

 

 

(Source ; Le Monde Diplomatique,  Avril 1977, pages 21 et 23)

 
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Ce site, animé par le Collectif Algérie-Machreq, est consacré à la mémoire historique de la Nation arabo-musulmane, à l'intellectualité, la spiritualité, la culture, l'expérience révolutionnaire des peuples arabes. La Palestine sera à l'honneur. 


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