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في سبيل العروبة الحضارية - Sur le chemin de l'arabité civilisationnelle
17 janvier 2022

La place du patrimoine islamique dans la pensée contemporaine (1982), par le philosophe marxiste arabe Hussein Mroué (Liban)

حسين مروة1 x

Aborder une étude qui traite d'une question relative au patrimoine islamique, exige, d'emblée, du point de vue méthodologique, de définir le concept de patrimoine au sens le plus général.

Nous n'aurons pas recours pour ce faire au langage des catégories de la logique formelle et de l'abstraction pure, avec leurs formules définitives et absolues. Notre référence n'est autre que la réalité vivante. Celle-ci nous révèle que le patrimoine, en tant que concept, est le produit d'un processus historique, à la réalisation duquel ont contribué un ensemble de relations et de conditions, et dans le tissu duquel s'entremêlent les facteurs de temps et de lieu, en interaction dynamique avec les lois du mouvement d'évolution d'une société donnée, dans toutes les dimensions de celui-ci : sociale, économique, politique, culturelle. Dans cette optique réaliste scientifique, nous considérons le patrimoine islamique comme une réalité historique et non comme une essence lumineuse en dehors de l'histoire. Nous le considérons comme un produit culturel, soumis, dans son existence, son développement et son évolution, à l'action de ce processus historique même par lequel chacun des peuples qui composent l'humanité peut produire, à différentes époques, son patrimoine culturel, ou - au sens le plus large - son patrimoine de civilisation.

La « spécificité » du patrimoine islamique est donc relative, et non pas absolue.

Deux raisons nous poussent à l'affirmer d'emblée. La première, c'est que la dénomination de « patrimoine islamique » imprime dans les esprits l'impression fausse que ce patrimoine a sa « spécificité » absolue, qui lui viendrait du caractère religieux transcendantal que suggère le qualificatif d'islamique. La seconde, c'est qu'il est établi dans la pensée des tenants de la tendance « salafiste », et les couches réactionnaires de ce courant s'en servent comme arme idéologique, que qualifier ce patrimoine « d'islamique » ne saurait supporter d'autre contenu que celui de la « spécificité » religieuse, à l'exclusion de tout autre. Selon cette conception, le patrimoine devient donc celui de l'Islam-religion, et lui seul, et absolument pas celui de l'Islam-société.

Ils le dépouillent ainsi de son « historicité ». Ils le situent dans la sphère de l'immobilisme. Car le fait d'être un patrimoine purement religieux, cela voudrait dire avoir une existence éternelle, hors du cadre de l'effort humain, hors du champ du mouvement du temps et du lieu historiques.

Cette position salafiste, dans ses divers courants, anciens et modernes, et plus particulièrement contemporains, demeure l'une des principales entraves qui ont empêché le « patrimoine islamique », jusqu'à nos jours, d'occuper la place qu'il mérite dans le mouvement de pensée contemporain.

Assimiler scientifiquement la relation objective entre le patrimoine islamique et les composantes matérielles qui ont contribué aux fastes de l'histoire de la civilisation arabo-islamique, représente une nécessité méthodologique pour les études qui traitent de ce patrimoine du point de vue de la pensée scientifique contemporaine. Ceci afin de réaliser deux objectifs simultanés : situer ce patrimoine, ou au moins la vision qu'on en a, à sa place réelle dans cette histoire ; rétablir le lien rompu, ou pratiquement rompu, entre ce patrimoine et les évolutions et mutations dans lesquelles se sont engagées, depuis le début des temps modernes, l'ensemble des connaissances humaines, marche à laquelle a contribué le patrimoine islamique par le rôle qui fut le sien aux temps médiévaux.

Mais cela exige que soient explicités deux aspects de la question : celui qui a trait à la dénomination de ce patrimoine ; et celui qui a trait au mot « islamique » qu'elle contient.

En ce qui concerne le premier aspect, nous ne pensons pas que la dénomination de patrimoine islamique suffise à caractériser sa signification historique réelle. Nous avons dit qu'il était le patrimoine d'une société, le produit social d'une société donnée. Mais de quelle société s'agit-il ?

Rien dans l'histoire de ce patrimoine, à l'époque de sa naissance et de sa formation, dans les circonstances où il a été produit, n'autorise à l'attribuer, en tant que patrimoine culturel, à une société qu'on qualifierait de « société islamique » pure, sans autre qualificatif - englobant dans une généralisation excessive la multiplicité des sociétés qui ont, majoritairement, embrassé l'Islam, et la diversité de ces sociétés sur les plans de l'ethnie, de la langue, de la culture, de la civilisation.

La plupart ont certes contribué, à des niveaux divers, à la production d'un seul patrimoine culturel commun. Il est vrai aussi que l'Islam, en tant que religion, a été leur dénominateur commun, malgré leur multiplicité et leur diversité.

Mais des questions se posent auxquelles l'histoire répond.

1) La langue de cette « culture-patrimoine » est la langue des Arabes. C'est, de plus, la langue du texte islamique tout entier : du Coran, de la Sunna, de la Sharî'a, du Fiqh, du dogme religieux et de l'enseignement social, de la tribune, de la rhétorique, de la connaissance.

2) La culture unique commune est la culture arabe, avec ses outils linguistiques, écrits et oraux. Mais c'est une culture en interaction avec la vivacité des cultures des autres peuples, avec leurs langues et la diversité de leurs patrimoines anciens.

3) Le peuple qui a apporté à tous ces peuples son Islam, sa langue et sa culture, est le peuple arabe. Il est sorti de la péninsule aride, leur apportant, avec cet Islam, cette langue et cette culture, ses aspirations et les instruments intellectuels et idéologiques de celles-ci, sans compter ses instruments politiques et militaires.

Si cela est un fait historique établi - et il l'est absolument - on en concluera à l'évidence que la langue, la culture, la présence du peuple arabe figurent parmi les éléments constitutifs, la base originelle de l'existence du patrimoine islamique, des facteurs de son développement évolutif, de l'accumulation du thesaurus de valeurs culturelles conservées jusqu'à nos jours. Ce qui nous engage à percevoir la lacune dans la dénomination courante de ce patrimoine. Ce n'est pas seulement un patrimoine « islamique ». Se borner à ce qualificatif, c'est se restreindre à un seul aspect de sa réalité historique. Et nous ne rendrons complètement compte de celle-ci qu'en la désignant sous la dénomination de patrimoine arabo-islamique.

Le second aspect de la question, définir le sens du mot « islamique » contenu dans la dénomination du patrimoine, est à notre avis le plus important. Expliciter le concept « d'islamique », c'est établir avec netteté la différence qui sépare la méthode salafiste et celle du matérialisme historique.

Considérer le patrimoine de façon globale et inductive, nous amène nécessairement à comprendre que le qualificatif « d'islamique » n'est pas mis pour signifier une relation à l'Islam-religion, au sens de la foi en l'Islam en tant que religion. Il est mis au sens d'une relation dans le cadre du concept historique d'Islam, au sens donc de l'Islam en tant que système politique, en tant qu'État et appareil économique, politique, administratif et financier, en tant que rapports sociaux qui organisent un ensemble de peuples rassemblés dans une société structurée, la société du Califat arabo-islamique.

Ceci acquis, il est vrai de dire de chaque élément de ce patrimoine qu'il est « islamique », bien qu'il n'y ait pas d'adéquation entre le contenu de croyance propre à l'Islam et l'autre contenu de ces éléments du patrimoine (comme la philosophie, les sciences naturelles, la médecine, les mathématiques, la linguistique, les lettres). Globalement, l'ensemble des éléments du patrimoine « islamique » n'entrent pas dans le cadre de la conception de l'Islam comme croyance. Quelques-uns n'ont aucun rapport avec cette conception. Plus encore, d'autres incluent un contenu en contradiction avec cette conception. Il n'en est pas moins vrai de dire de chacun de ces éléments sans exception, qu'il est islamique.

Cela ne signifie pas que nous dissocions de leur relation originelle et objective avec le patrimoine les connaissances islamiques pures, telles que les sciences de l'exégèse (Tafsîr), des « Dits » du Prophète et de leur transmission (Hadîth, Riwâya), de la jurisprudence et des fondements de la jurisprudence (Fiqh, Usûl al-Fiqh). Bien au contraire. Nous considérons ce type de connaissances islamiques comme l'un des premiers fondements du patrimoine arabo-islamique. Nous pensons que c'est sur ce type de connaissance qu'ont été fondés les jalons de l'évolution ultérieure de la culture arabe, après les siècles dits de « l'Ignorance » (Jâhiliyya) et l'apparition de l'Islam. Bien plus, le fait est qu'on doit à ces connaissances de nature purement islamiques d'avoir eu un autre rôle fondateur d'une très grande portée : celui d'avoir introduit les premiers éléments du processus historique d'interaction entre cette nouvelle culture arabe et la pensée philosophique extérieure, la grecque particulièrement.

 

Deux conceptions du rapport au patrimoine

Pour déterminer la place du patrimoine arabo-islamique dans la pensée contemporaine, la question de fond est donc celle de la représentation scientifique du rapport de permanence et de continuité entretenu entre ce patrimoine, dans ses limites historiques dans le passé, et la perspective ouverte, illimitée, du processus de développement du patrimoine dans le présent et dans l'avenir.

Le patrimoine islamique occupe une position différente à l'intérieur de l'histoire passée elle-même, selon la diversité des méthodes mises en œuvres pour aborder le concept de patrimoine. Nous l'avons vu, pour le salafisme, occuper une position inerte, isolée du mouvement de cette histoire, du fait que cette méthode le considère comme patrimoine islamique religieux, relatif à la croyance pure. Alors que nous le voyons occuper pour le matérialisme historique, une position dynamique évolutive à l'intérieur du mouvement de la lutte sociale à une étape historique donnée, du fait que cette méthode le considère comme l'un des phénomènes culturels de cette lutte et comme produit du processus historique même qui produit toutes les formes de lutte dans une société donnée, parmi lesquelles celles de la pensée et de l'idéologie.

Considérons maintenant deux formes de ce rapport au patrimoine, présentes dans sa position historique médiévale et présentes dans la pensée contemporaine : la forme métaphysique et la forme dialectique.

La forme métaphysique

La première est la forme immobile dans laquelle ce rapport apparaît comme rapport de continuité cyclique fermé à l'histoire et au temps. Il est vide de temps, met sur le même plan le passé, le présent et l'avenir, le patrimoine lui-même étant de nature métaphysique, considéré unilatéralement sous le seul aspect de la foi religieuse. Cette forme métaphysique du rapport visé ici est assimilable, en fait, à ces opinions, positions et courants modernes et contemporains qui s'accordent pour parler de la présence du patrimoine « islamique » à notre époque. Non pas seulement d'une présence dans la pensée contemporaine, mais aussi dans la vie de tous les contemporains, dans leurs règles de vie en général, dans toutes les relations de leur existence sociale, dans tous les détails de leur vie quotidienne. Ceci au sens d'une projection du passé sur le présent, d'une continuité cyclique, sur le mode de la répétition et de la similitude absolues. Le sens même de l'expression répandue : « l'histoire est recommencement ».

La présence du patrimoine islamique sous cette forme métaphysique dans la pensée contemporaine, ou dans quelque autre champ du contemporain, ne constitue pas un facteur d'évolution ou de progrès, ni pour la pensée contemporaine ou quelque autre aspect de notre vie contemporaine, ni pour le patrimoine lui-même. Ce type de présence se transforme même en frein pour les mouvements de libération de nos peuples, sur la victoire desquels repose l'élan qui sera pris vers la marche de l'évolution et du progrès. Le contenu réel et effectif de l'idée d'une projection du passé sur le présent, en répétition et similitude absolues, est de dépouiller nos peuples qui luttent pour la libération nationale et sociale de l'une des armes idéologiques de leur lutte libératrice. Je veux dire de ce potentiel effectif et stimulant que représente leur patrimoine de pensée quand il est mis correctement en relation avec sa vitalité historique, porteur des pulsions de la société qui l'a créé dans le passé, exprimant ses contradictions vivantes et la lutte sociale et idéologique allumée par ces contradictions. S'ajoute à cela que l'idée d'une projection du passé sur le présent signifie la négation ouverte de la loi de l'évolution, bien que ce soit la loi absolue qui régisse les autres lois objectives universelles. De plus, cela signifie la négation de l'aspect « fonctionnel » du patrimoine « islamique » jusques et y compris dans sa caractéristique religieuse. Cette caractéristique, particulièrement, exige nécessairement un type de relation vivante entre la pensée religieuse et les hommes qui se tournent vers elle, c'est-à-dire un rapport entre eux et leur vie réelle, changeante, en évolution constante, le sens de ce rapport vivant étant, ici, l'influence mutuelle, reçue et produite.

Mais la réalité de l'histoire du patrimoine « islamique » lui-même atteste que cette relation vivante a existé effectivement, qu'elle a eu sa fonction historique effectivement, c'est-à-dire sa fonction d'interconnexion et d'interaction avec l'homme, et qu'en vertu de cette fonction, elle a répondu, effectivement aussi, aux nécessités de l'évolution.

La naissance de la science des « fondements de la Jurisprudence » à une étape précoce de l'histoire de l'Islam est en elle-même un témoignage irréfutable. Cette naissance a été l'expression de nécessités apparues au cours de l'évolution des rapports objectifs entre l'Islam-Droit et son exercice pratique dans les affaires de la nouvelle société, c'est-à-dire au cours de l'évolution du mouvement d'interrelation et d'interaction entre celui-ci et le cours de la vie quotidienne de cette société. Ces changements sont venus démontrer qu'il n'y a dans les textes législatifs islamiques rien qui offre des jugements jurisprudentiels tout faits, propres à chaque situation ou événement, qui se renouvellent avec le temps dans la société. Les juristes ont dû alors recourir à l'effort d'interprétation personnelle (Ijtihâd) pour déduire les jugements convenant à la nature des renouvellements dans la vie des gens, au cours de l'accélération des rythmes d'évolution sociale. Mais cet « Ijtihâd » n'aurait pu accomplir sa fonction législative s'il s'était appuyé sur des opinions personnelles non établies sur des fondements et règles générales qui servent de références à tous ceux qui se livrent - après - à l'Ijtihâd, c'est-à-dire à la déduction de jugements dans d'autres situations en renouvellement. Il fallait donc établir ces fondements et ces règles générales. Il fallait aussi tirer profit, pour les établir, du résultat de l'évolution de la culture arabo-islamique et de son ouverture aux cultures étrangères. Et c'est ce qui s'est effectivement passé quand toutes ces nécessités naissantes ont exigé qu'apparaisse au sein de la structure de cette culture, une nouvelle branche, appelée « science des fondements de la jurisprudence » pour poser les règles de base de la pratique de l'Ijtihâd jurisprudentiel, en accord avec le niveau d'évolution atteint objectivement, tout en ajoutant un instrument nouveau de connaissance, relativement avancé, aux moyens de l'Ijtihâd, instrument appelé, dans cette science des Usûl al-Fiqh, « arguments rationnels ». Ce nouvel instrument de connaissance est porteur d'un caractère rationnel qui correspondait au niveau d'évolution de la culture arabo-islamique d'alors. Il correspondait aussi aux multiples points de contact et d'ouverture introduits, par cette culture sur les sources de la connaissance élaborées hors du domaine arabe de ce temps.

La même chose peut être dite des débuts de la « Science de la théologie dogmatique » ('Ilm al-Kalâm) du fait des qadarites, puis de son développement par les Mu'tazilites, apportant à la culture arabo-islamique les prémisses de la pensée philosophique. Bien que cette « science de la Parole » se soit établie sur des bases « théologiques » et soit restée dans le cercle de ce « théologisme », elle n'en a pas moins posé la première pierre du processus qui a fait sortir la pensée philosophique de sa dépendance à l'égard de la « théologie » pour accéder à l'autonomie, c'est-à-dire à l'apparition d'une philosophie arabo-islamique indépendante de la « science de la Parole » elle-même, une philosophie tournée vers l'élaboration de sa structure de connaissance sur la base de l'unicité de la vérité (la vérité philosophique seule), au lieu du dualisme de celle-ci (la vérité religio-philosophique) dans la « Science de la Parole ».

Si nous examinions les autres éléments de ce patrimoine pour découvrir l'étendue de leur réponse au cours de l'évolution sociale et culturelle, pendant les trois premiers siècles de l'Islam, et le degré de leur soumission à l'adaptation à ce cours des choses, nous verrions que tous, sans exception, ont répondu, à des niveaux divers, aux exigences du changement et de l'évolution.

Cette forme métaphysique salafiste mérite là place que nous lui accordons, en raison des circonstances propres à la période que nous vivons. Il s'agit de circonstances extrêmement complexes, où les faits sont obscurcis par les illusions, où la lutte idéologique s'avive à un niveau jamais atteint. Ces circonstances offrent à la pensée salafiste la plus réactionnaire plus de prétextes pour apparaître sur la scène des événements et tenter de les influer pour entraver la marche du mouvement de libération et de progrès arabe. Les idéologues salafistes ont utilisé, dans ce contexte, quelques événements contemporains de nature combative et d'orientation révolutionnaire, au premier rang desquels le soulèvement du peuple iranien. Il s'agit d'un soulèvement national libérateur, lié, - d'abord, - quant à son contenu et à sa stratégie, à la question axiale de tous les mouvements de libération nationale contemporains, celle de l'indépendance nationale complète, libérée de toute forme de dépendance à l'égard de l'impérialisme, engagée sur la voie du développement et du progrès des peuples, et de la libération de toute l'humanité du spectre d'une troisième guerre mondiale dévastatrice. Il s'agit de plus d'un mouvement lié, d'une façon particulière et directe au conflit arabo-israélien, question centrale du mouvement de libération arabe, en appui au droit du peuple de Palestine à édifier son État indépendant sur le sol de sa patrie, la Palestine.

Les idéologues salafistes ont exploité le fait que le soulèvement iranien s'est appuyé sur une direction à la tête de laquelle se trouvait l'un des grands leaders religieux, et sur le fait que ses mots d'ordre patriotiques de libération se mêlaient à des mots d'ordre religieux islamiques. Ils se sont servis de ce phénomène comme prétexte pour vider ce soulèvement de son contenu national libérateur, pour le couper de ses racines stratégiques révolutionnaires, lui décerner la qualité du mouvement purement religieux, et le situer arbitrairement sur un terrain dissocié de sa position naturelle réelle de mouvement de libération nationale. Ceci dans le dessein de le placer en position d'opposition et de contradiction avec les orientations de la pensée progressiste contemporaine et des mouvements révolutionnaires progressistes contemporains. Ils se sont appuyés pour cela sur l'interprétation subjective et métaphysique de l'Islam et du patrimoine islamique et sur la position idéologique qui s'embusque derrière cette interprétation.

 

L'approche dialectique

La vision métaphysique de ce patrimoine et du rapport entre sa présence dans le passé et sa présence dans le présent n'est pas scientifique parce qu'elle n'est pas historique. C'est pour cela qu'elle représente, la plupart du temps, la face indirecte de l'idéologie des forces sociales dont les intérêts stratégiques de classe concordent avec les conséquences de la conception fixiste de l'histoire et de la conception transcendantale des questions de la nature, de la société et de la pensée.

La vision antagonique, la vision dialectique, en est l'alternative historique scientifique, en harmonie avec la logique des lois objectives universelles. Tout en étant l'expression de la face indirecte de l'idéologie des forces sociales laborieuses dans les sociétés de classes.

Redisons ici que le patrimoine occupe, pour le matérialisme historique, une position dynamique à l'intérieur du mouvement de lutte sociale à une étape historique donnée, en considérant ce patrimoine comme l'un des phénomènes culturels de cette lutte à une étape déterminée, comme produit du processus historique même qui produit toutes les formes de lutte dans une société donnée, parmi lesquelles celles de la pensée et de l'idéologie.

 

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Considérer ainsi le patrimoine représente la base de la vision dialectique. Son mouvement dynamique, à la phase de formation et de développement, le crédite d'un potentiel d'évolution continue, dans le cadre du mouvement général du devenir auquel toute chose et tout être historiques sont soumis.

Mais qu'entendons-nous par évolution du patrimoine ? Cela signifie deux choses inséparables :

1) une interaction vivante avec les événements, phénomènes et questions produits par son époque dans le passé, de sorte qu'il est agi par eux, et qu'il agit sur eux, en ajoutant au produit de la dynamique de leur devenir et en s'ajoutant à eux comme facteur productif. Ainsi s'établit sa présence et l'effectivité de celle-ci dans son temps historique.

2) la permanence de sa propriété à demeurer une partie effective de ce tout historique, en marche - non sans discontinuité ou détours parfois - dans le cours des transformations successives par un processus de transmutation entre le quantitatif et le qualitatif, jusqu'à ce que ce cours historique parvienne au présent, ou au contemporain, porteur du produit des générations et siècles précédents.

Le patrimoine de pensée apparaît ici, à travers le produit total venu du passé, comme témoignage, d'abord, du rôle d'agent qui a été le sien dans l'histoire de l'évolution de la culture nationale, ou nationaliste (arabe), ou mondiale. Il apparaît, ensuite, comme témoignage du fait que le présent est aussi un être historique, au sens qu'il ne surgit pas du vide ou d'un état zéro, mais qu'il est aussi le produit d'un processus historique qui est parvenu au présent comme la substance concentrée de tous les effets portés par les racines et les fondements que le passé a ensemencés.

La première signification évidente du fait que le présent soit la substance concentrée du produit du passé est qu'il est le prolongement ascendant du passé, c'est-à-dire le prolongement d'un développement, d'une évolution, d'une mutation et non un prolongement cyclique, répétitif, similaire.

La seconde évidence, c'est que la présence du passé, ou du patrimoine, dans le présent, ou dans le monde contemporain, n'est autre que sa présence dans « l'histoire » de cet « être historique » qu'est le présent. Ce n'est pas une présence dans la sphère du mouvement contemporain effectif.

La troisième évidence, qui résulte des deux significations précédentes, est qu'il n'est rien demandé de plus au patrimoine, dans la sphère du contemporain, que le fait pour sa conscience d'être une partie de notre conscience contemporaine et pour sa connaissance d'être une partie de notre connaissance contemporaine, ou, en d'autres termes, que notre conscience du patrimoine soit l'une des manifestations de notre conscience nationale, nationaliste (arabe), ou internationaliste, et que notre connaissance de celui-ci soit l'un des éléments existentiels de notre connaissance contemporaine.

La quatrième et dernière évidence est que l'on aboutit ainsi à la solution du problème du rapport entre la circonscription du patrimoine dans les limites de son histoire passée, et entre la perspective illimitée de son processus d'évolution en direction du présent et d'un avenir ouvert, infini. La vision dialectique de ce rapport met en lumière qu'il ne s'agit pas d'un rapport contradictoire. L'un des termes est le patrimoine-agent, c'est-à-dire effectivement en acte dans l'histoire de l'évolution culturelle. Son existence en tant qu'agent est circonscrite dans son cadre temporel passé. Quant à l'autre terme du rapport, le patrimoine-procès, sans limite, il n'est pas ce patrimoine circonscrit dans le passé. Il est la conscience de ce patrimoine, et non pas le patrimoine en soi.

Il n'y a pas de place pour le patrimoine en soi dans la pensée contemporaine, et il ne peut y en avoir. La distance entre la pensée héritée et la pensée contemporaine ne se mesure pas seulement en termes d'éloignement temporel, mais aussi, et de façon plus importante, en termes de profondeur historique. La mesure la plus importante est celle des caractères distinctifs qui creusent la profondeur de l'écart entre une pensée produite dans des circonstances, des rapports et des conditions sociales et de connaissance relevant des premiers siècles de l'hégire islamique, et une autre pensée produite dans des circonstances, rapports et conditions sociales et de connaissance relevant du dernier tiers du XXe siècle.

 

Conscience et connaissance

La question se résume pour nous à examiner la position idéologique que peuvent occuper dans la pensée contemporaine les formes de connaissance du patrimoine arabo-islamique. Nous disons qu'elle se résume à ceci, parce que la bataille d'idées de plus en plus vive, particulièrement à la dernière période, au sujet de ce patrimoine, tourne en fait autour de la théorie de l'hérité, c'est-à-dire autour de la méthode de connaissance théorique de ce patrimoine, à la lumière de laquelle se définissent les caractéristiques idéologiques de cette connaissance.

Cette bataille autour de la connaissance du patrimoine islamique n'en a pas moins commencé à l'époque même où celui-ci se constituait. Chaque partie successive, constitutive de ce patrimoine, a engagé une bataille sur la connaissance de la partie précédente, devenue « patrimoine » constitué pour la suivante. Ces batailles ont commencé autour du Califat islamique, divisant les musulmans en nombreux rites et sectes dont la question sociale était le fondement.

Le pivot de toutes ces batailles a été la connaissance du patrimoine ou l'interprétation (Ta'wîl) du sens profond de ses textes, en fonction des exigences nées des positions, situations et ambitions. Au cours de ces batailles, la forme de connaissance a été l'arme conceptuelle et idéologique de chaque secte. On peut dire aussi cela de la multiplicité des rites jurisprudentiels islamiques, tous établis, quant au fond, sur la multiplicité des « Ijtihâdât » (efforts indépendants de raisonnement) pour comprendre (connaître) les textes originels de base de la législation (Sharî'a) islamique : Coran. Sunna. Il en est de même de la philosophie arabo-islamique, l'une des plus importantes composantes du patrimoine, impliquée, pour sa plus grande part, par des tentatives, nouvelles et de grande importance, pour produire une connaissance d'un type nouveau de la « Loi islamique », qui s'en distingue par son orientation rationnelle, c'est-à-dire une orientation de « rationalisation » philosophique de la Sharî'a. Et différente, en ce sens de l'orientation rationnelle de la « Science de la Parole ». Il en est encore de même pour la « mystique islamique ». La pensée théorique de cette mystique peut être considérée comme l'exemple le plus remarquable de production cognitive du patrimoine, à l'intérieur de ce même patrimoine, en s'appuyant sur le « Ta'wîl » comme instrument de production de cette connaissance, bien qu'elle recourt à « l'intuition » pure, et non à la raison.

Si nous passons maintenant au patrimoine arabe-renaissant, issu de « l'époque de la Renaissance » (XIXe siècle - début du XXe siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale), comment établir le rapport entre ce patrimoine et le patrimoine arabo-islamique médiéval, d'une part, et le rapport entre nous, à l'époque postérieure à cette guerre, et chacun de ces patrimoines, d'autre part ?

Le premier rapport recoupe deux types de rapports. Car le patrimoine renaissant se subdivise - historiquement - en deux types. Le premier est lié à la pensée islamique, en tant que pensée religieuse. C'est le courant réformiste, dominé par les figures de J.E. al-Afghânî, Muhammad 'Abduh et 'Abd al-Rahmân al-Kawâkibî. Il s'est caractérisé par une tentative de très grande importance pour l'histoire de la Renaissance, celle de produire une connaissance du patrimoine islamique capable de doter les peuples de la région de concepts contemporains de nature islamique qui les aident à répondre aux défis posés par l'occupation et l'exploitation coloniales européennes de la plupart des pays d'Orient d'alors. Le second type est lié à la pensée arabe, en tant que pensée nationaliste. L'orientation dominante chez les lettrés et penseurs de la renaissance a été : ou bien de transplanter tel quel le patrimoine arabe médiéval, ou de produire sa connaissance sous une forme la plupart du temps dominée par la tradition et la sacralisation, qui ne pouvait pas contribuer au développement du patrimoine.

Quant au deuxième rapport, le rapport entre la pensée contemporaine et les deux patrimoines, arabo-islamique médiéval et arabe renaissant, il apporte par lui-même la plus grande preuve qu'il est rapport cognitif, et rien d'autre. Au sens où la place réelle et effective de chacun des deux patrimoines dans le champ de notre pensée contemporaine, se résume à la place de leur connaissance et non à la place de chacun d'eux dans ses limites et conditions historiques. Ou, dit autrement, la modalité de notre vision contemporaine du patrimoine est la seule à occuper la place du patrimoine dans la pensée contemporaine, parce qu'elle est seule à pouvoir être présente dans notre vie contemporaine.

Mais cette place qu'occupe la connaissance de la pensée héritée, du Moyen-Age ou de la Renaissance, dans les champs du contemporain, n'est pas unique. Il y a multiplicité de types de connaissance, à la mesure de la multiplicité des angles de vision contemporains du patrimoine. Le patrimoine est donc lui-même multiple, en fonction de la multiplicité de ces angles. L'image du patrimoine diffère donc d'un angle de vision à l'autre.

Ici surgit une question : pourquoi y a-t-il différence de représentation, multiplicité d'angles de vision ou diversification de la connaissance du patrimoine, bien que celui-ci soit un ?

Cette question nous amène au point central de l'étude : définir la place effective du patrimoine, c'est-à-dire de la connaissance du patrimoine dans les champs de la pensée contemporaine.

Traiter cette question exige d'abord un retour en arrière. Nous savons que le rapport entre le contemporain et le patrimoine (le fondamental) est un rapport objectif, non créé par la conscience, mais existant nécessairement, en vertu de la cohésion du tissu historique constitutif de l'existence sociale humaine, prolongée du passé au présent, l'avenir étant prolongement du devenir d'évolution et de mutation. Mais l'existence objective de ce rapport n'abolit pas la nécessité de la conscience cognitive de celui-ci. Il a besoin de cette conscience en tant que facteur « subjectif » qui se combine avec le facteur objectif pour maîtriser rationnellement la marche du mouvement de devenir, d'évolution et de mutation, dans le présent et dans l'avenir.

Tel est donc le rôle actif de la connaissance du patrimoine dans la pensée contemporaine, mais aussi dans la préparation de la pensée de l'avenir. Si ce n'est que la connaissance, dans ce contexte, n'est pas une chose abstraite et absolue. Elle est en relation avec le réel social humain en mouvement. Cela signifie qu'elle a une position de corroboration dans ce réel, d'abord, et qu'ensuite, elle est connaissance relative. Cette corroboration et cette relativité sont déterminées par les positions sociales des gens qui « connaissent », c'est-à-dire ceux qui produisent la connaissance de ce patrimoine. Les positions de ces gens sont multiples, diversifiées, contradictoires, en fonction de leurs appartenances de classe, de la diversité des couches sociales, jusque et y compris à l'intérieur d'une même appartenance de classe, et selon la contradiction sociale objective, les degrés divers de cette contradiction, entre les intérêts résultant de ces appartenances.

Partant de cette réalité structurelle de la contradiction des sociétés de classe, il apparaîtra évident qu'on ne peut parvenir à l'harmonie totale ou à l'harmonie majoritaire dans ces sociétés, entre les diverses classes et couches, que ce soit du point de vue de la formation de pensée ou des voies d'approche de l'ensemble des rapports humains et des questions et problèmes posés, qu'ils relèvent du social, du politique ou de la pensée.

En conséquence, il est évident qu'il ne peut y avoir d'harmonie idéologique dans ces sociétés. Il est naturel que la contradiction y apparaisse, puis qu'elle se développe en lutte idéologique.

La place du « patrimoine islamique » dans la pensée contemporaine est donc celle que lui assigne la lutte entre les conceptions opposées de la connaissance de ce patrimoine. Mais cette bataille se livre-telle seulement autour de la connaissance en soi ?

Là réside le cœur de la question. La connaissance en soi n'a jamais été le pivot d'aucune des batailles qui se sont déroulées autour du patrimoine islamique depuis le début de cette lutte sous le califat jusqu'au début de celles de cette époque qui portent sur la position islamique à l'égard des questions contemporaines. Le pivot de toutes ces batailles se situe derrière leur axe apparent, c'est-à-dire la connaissance. Leur axe véritable a toujours été l'axe social, ou le politique, ou l'idéologique, ou l'axe socio-politico-idéologique en même temps. Il en est ainsi de la bataille d'aujourd'hui dont l'acuité va grandissant, celle des conceptions opposées du patrimoine islamique.

Cette bataille est située à un point chaud sur la scène de la pensée contemporaine, de même qu'elle est située à un point encore plus inflammable sur la scène de la lutte socio-politico-idéologique qui englobe à l'époque actuelle le monde dans sa totalité. Parce que c'est l'une des batailles de ce temps, réellement, et non une bataille du passé.

Elle ne tourne pas autour du passé à travers le présent. Au contraire, elle porte sur le présent à travers le passé, sur les questions du présent à travers celles du passé.

Aux lectures éclairantes du « patrimoine islamique » font pendant des lectures obscurantistes allant de pair avec les positions opposées à la liberté de l'homme et au progrès des peuples humains. Elles placent le patrimoine au service idéologique des forces réactionnaires, en produisant une connaissance de celui-ci qui occupe, sur la scène de la pensée contemporaine et dans la bataille d'idées contemporaine, une position de choc contre le front de la liberté et du progrès.

Ces lectures obscurantistes existent partout où existent des lectures éclairantes. C'est l'expression idéologique de la différence des positions sociales, qui entraînent, nécessairement, une différence dans les positions idéologiques, tout comme elles requièrent, dans le même temps, l'émergence d'une lutte d'idées dont le niveau, la plupart du temps, correspond à celui de la lutte sociale de classes.

 

Quelques conclusions

La logique de cette étude, dans ses enchaînements complémentaires, nous conduit aux résultats synthétisés ci-après :

1) La place que peut occuper le « patrimoine islamique » dans la pensée contemporaine, n'est pas celle du patrimoine en lui-même, dans son cadre historique passé, dans la corroboration de ses circonstances et conditions sociales, politiques et culturelles en elles-mêmes. C'est la place de la connaissance contemporaine de ce patrimoine.

2) La place même occupée par cette connaissance du patrimoine n'est pas une, ni absolue. Il y en a plus d'une pour plus d'un type de connaissance. Car la connaissance du patrimoine est multiple, diversifiée, en raison de la multiplicité des positions sociales de ceux qui produisent la connaissance du patrimoine, et en raison de la diversification conceptuelle et idéologique de l'expression de ces positions.

3) Il ne peut y avoir d'unicité de la place occupée par le « patrimoine islamique » et de sa qualité dans le champ de la pensée contemporaine, que conditionnée par une victoire décisive remportée dans la lutte idéologique, ou, au moins, l'orientation de cette décision vers l'un des deux plateaux de la balance.

4) La production de la connaissance de tout patrimoine lui maintient sa place et son effet dans toute pensée contemporaine à chaque génération, aussi longtemps que le rapport entre le mouvement de modernisation et ses bases héritées (le fondamental) demeure un rapport existentiel objectif, et tant que ce rapport demeure l'un des affluents du prolongement progressif de la connaissance humaine et de la civilisation humaine en tant que tout.

 

Bibliographie

Nous renvoyons le lecteur d'arabe qui voudrait prendre la mesure de l'immense bibliographie qui s'entrecroise dans cette contribution de Hussein Mroué (= Husayn Muruwwa) à sa grande somme en cours de publication : al-Naza'ât al-Mâddiyya Fi al-Falsafa al-'Arabiyya al-lslâmiyya (Les tendances matérialistes dans la philosophie arabo-islamique), (Dâr al-Fârâbî, Beyrouth, 2 tomes parus, 1978, 1 024 p., et 1979, 775 p.). [Cf. le C.R. par M.A. El Alem dans le n° 223, (septembre-octobre 1981) de La Pensée].

Pour une étape de sa recherche et de sa réflexion, élargie aux travaux des grands écrivains et essayistes arabes contemporains, on pourra se reporter, parmi les autres ouvrages de l'auteur à : Dirâsât Naqdiyya Fi Daw' at-Manhaj al-Wâqi'î (Études critiques à la lumière du réalisme), (Maktabat al-Ma'ârif, Beyrouth, 1965, première édition) ; (Dâr al-Fârâbî, 1976, deuxième édition, rev. et augm, 378 p.).

Signalons enfin, sa contribution à un livre collectif qui tient compte de la relance du débat sur l'Islam après les événements d'Iran : « Muqaddimât Asâsiyya Li-Dirâsât al-Islâm » (Prolégomènes pour l'étude de l'Islam), pp. 5-102, in Dirâsât Fi al-Islâm (Etudes sur l'Islam) (contient aussi des études de M.A. al-'Âiim, Muhammad Dakrûb et Samîr Sa'd), (Beyrouth, Dâr alFârâbî, 1980, 230 p.).

 

La place du patrimoine islamique dans la pensée contemporaine, Hussein Mroué, La Pensée, n° 229, septembre-octobre 1982, pp. 51-61.

Hussein Mroué (1908-1987) fut l’un des plus grands philosophes marxistes arabes du 20ème siècle. Membre du Parti Communiste Libanaise (et de son Comité central), il a été directeur de la revue El-Tarîq. Il  fut assassiné. L’article que nous publions a été traduit de l'arabe par Jacques Couland.

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Ce site, animé par le Collectif Algérie-Machreq, est consacré à la mémoire historique de la Nation arabo-musulmane, à l'intellectualité, la spiritualité, la culture, l'expérience révolutionnaire des peuples arabes. La Palestine sera à l'honneur. 


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