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في سبيل العروبة الحضارية - Sur le chemin de l'arabité civilisationnelle
18 janvier 2022

Le visage musulman de 'Aissa, Jésus, fils de Myriam, par Kamel Nasser

jésus

Si Jérusalem est El-Qods, la Sainte, c'est parce que Adam y a construit la Mosquée al-Aqsa. Pareillement, l'Ascension nocturne du Prophète Mohammed (que la paix soit sur lui) lui a donné ses lettres de noblesse dans la conscience musulmane, ainsi que le faste du Dôme du Rocher. Mais la sainteté islamique de Jérusalem tient aussi au fait qu'elle a un rôle à jouer dans les fins dernières de l'humanité. Elle relève donc à la fois de l'originel (avec le commencement adamique) et eschatologiques. En effet, plusieurs hadiths qui décrivent les derniers temps en évoquant le fait que « l’Antéchrist borgne », al-Masih al-dajjal, le Christ imposteur, « étendra sa domination sur toute la terre à l’exception des sanctuaires (de La Mecque et de Médine) et de Jérusalem ». Il sera tué tout près de Jérusalem, dans le village de Lydda en Palestine. Et qui sera le libérateur du mal ? Jésus, fils de Myriam, qui doit revenir à la fin des temps. Le Coran précise que Jésus « sera un signe de [l’arrivée imminente de] l’Heure. N’ayez donc aucun doute au sujet [de l’Heure] et suivez-Moi. » (Coran XLIII, 61)

 

On peut lire dans le recueil de hadith de Mouslim ces deux paroles prophétiques : « Dieu enverra le Messie, fils de Marie, qui descendra sur le minaret blanc, du côté est de Damas. Il portera deux vêtements, légèrement safranés, et se tiendra sur les ailes de deux anges. Lorsqu’il penchera la tête, des perles de transpiration en tomberont; et lorsqu’il la relèvera, des perles de transpiration voleront autour. Tout mécréant qui sentira son odeur mourra; et son souffle portera aussi loin que portera sa vue. » ; « Le moment de la prière arrivera et à cet instant, Jésus, fils de Marie, effectuera son retour et mènera les croyants en prière. Lorsqu’ils l’apercevront, les ennemis de Dieu commenceront à se dissoudre comme le sel se dissout dans l’eau. ».

 

Dans cette exploration historico-religieuse de la Jérusalem islamique, il me semblait important de consacrer un chapitre à Jésus, fils de Marie, car il fait le lien entre Al-Qods et la fin des temps.

 

 

 

Entre le merveilleux et la tragédie

Il y a plus de quarante cinq ans, le talentueux islamologue algérien Ali Merad, lors d'une conférence prononcée à Rome, rappelait, à propos de la perception islamique de la figure de Jésus ('Issa ou « Aissa en arabe), les vérités suivantes : « Le climat, d'abord merveilleux, puis tragique, dans lequel baigne l'image coranique du Christ, arrache le Musulman à la foi tranquille avec laquelle il considère les autres Prophètes évoqués dans le Livre. Le Christ n'est pas de ces « Envoyés de Dieu » dont on puisse se contenter de mentionner le nom avec une pieuse invocation. Ce nom est chargé à la fois de splendeur et de mystère. En effet, à la radieuse évocation de l'Enfant-Jésus, fruit d'une conception miraculeuse dans le sein virginal d'une jeune fille de Palestine, Marie, au souvenir de ses miracles, marqués du signe de la toute puissance divine, s'ajoute le tableau des terribles événements qui précédèrent sa fin terrestre, puis la vision glorieuse de son Élévation au Ciel » (Mérad, 1968).

 

Tout d'abord, le merveilleux. Il se rapporte bien évidemment au miracle de la naissance de Jésus, avec de nombreux points communs avec les évangiles, mais aussi des différences. C'est l'Ange Gabriel qui, en même temps, annonce à Marie la nouvelle qu'elle portera l'enfant Jésus, et assume le rôle d'instrument du miracle, en se présentant à elle sous la forme d'un « homme parfait ». Cet être humano-angélique est aussi l'esprit (ruh) de Dieu. Le Coran souligne que Gabriel souffla sur Marie et qu'ainsi elle fut enceinte. On notera que Joseph, l'époux de Marie dans les évangiles, est absent du Coran. Le merveilleux se poursuit tout au long de la vie de Jésus, avec une série d'opérations miraculeuses. L'une d'entre elles est spectaculaire, car il s'agit d'un discours prononcé par Jésus alors qu'il était encore au berceau. Il prend la défense de sa mère, cible de rumeurs, car ayant enfanté sans être mariée, transgressant la règle sociale. « Je suis vraiment le serviteur de Dieu. Il m’a donné le Livre et m’a fait prophète; Il a fait de moi une source de bénédiction où que je sois, et Il m’a enjoint la prière et l'aumône tant que je vivrai. Il m’a rendu dévoué envers ma mère et Il ne m’a fait ni insolent ni misérable. Que la paix soit sur moi le jour où je naquis, le jour où je mourrai et le jour où je serai ressuscité ! » (Coran XIX, 30-33)

 

On remarquera que ce discours de l'enfant Jésus - que les rédacteurs évangéliques n'évoquent pas - pose les bases d'une christologie propre au Coran et à l'islam. Notons le dernier verset où Jésus se donne à lui-même la bénédiction (« que la paix soit sur moi ») en rapport avec les trois temps forts de son existence : sa naissance, sa mort et sa résurrection. Seulement, si la naissance en question est conciliable avec le récit néotestamentaire, les deux autres temps de la vie de Jésus ne s'inscrivent pas dans la même chronologie. Pour le musulman et la musulmane, la mort et la résurrection de Jésus sont des événements eschatologiques et non historiques, car ils sont liés à la fin des temps.

 

Parmi les autres miracles opérés par Jésus évoquons le façonnage d'un oiseau à partir de glaise « Pour vous, je façonne la glaise et lui fais prendre la forme d’un oiseau; puis, je souffle dedans et, par la permission de Dieu, cela devient un véritable oiseau. » (Coran III, 49). Cet épisode est également rapporté dans la littérature des évangiles apocryphes, comme L'Évangile de l’enfance de Jésus, selon Thomas ou le proto-Évangile de Jacques.

 

Avec la dimension merveilleuse, le Coran souligne aussi le caractère dramatique des derniers moments de la vie de Jésus à Jérusalem, et Ali Merad a raison de parler des « terribles événements qui précédèrent sa fin terrestre ». Comme dans la version chrétienne de ces événements, Jésus s'est trouvé être la cible d'une partie de ses contemporains Juifs, et des autorité romaines. La prédication de Jésus le conduit à une situation où sa vie est menacée. En tout cas, les Juifs et les Romains prennent la décision de le crucifier. Et c'est là, précisément, que le récit coranique diverge si profondément avec le récit évangélique. Voici le texte coranique : « Et à cause de leur mécréance et de l'énorme calomnie qu'ils prononcent contre Marie, et à cause de leur parole : « Nous avons vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d'Allâh »... Or, ils ne l'ont ni tué ni crucifié; mais ce n'était qu'un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l'incertitude : ils n'en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l'ont certainement pas tué, mais Allah l'a élevé vers Lui. Et Allah est Puissant et Sage. Il n'y aura personne, parmi les gens du Livre, qui n'aura pas foi en lui avant sa mort. Et au Jour de la Résurrection, il sera témoin contre eux. » (Coran IV, 157-159)

 

La christologie musulmane, avec ses théologiens, philosophes, mystiques, poètes, va longuement méditer ces versets. Quelles leçons peut-on en tirer ? Dans un premier temps, Jésus n'est pas mort sur la croix. Cette négation est centrale dans la vision musulmane du monde et de l'histoire du salut. Le sens de la mission de Jésus sur terre n'était pas lié à une rédemption par le sacrifice, afin, tel un nouvel Adam, de purifier dans le sang le péché originel. Il n'est pas non plus inséré dans l'organisation trinitaire de la divinité, comme dans le christianisme. Rien de cela en islam. Jésus est venu essentiellement, comme tous les prophètes, apporter un message spirituel centré sur la croyance au Dieu unique et la proclamation de la transcendance divine, et son amour, aussi. Cela ne signifie pas que cette prédication terrestre ait épuisé le sens de la mission de Jésus. Dans le passage précité, on voit bien qu'il a un rôle à jouer le « Jour de la Résurrection ». Autre leçon : Jésus n'est pas mort, mais a été élevé au Ciel, dans le giron divin. Ali Merad écrit que «  L'élévation du Christ au Ciel constitue un acte gratuit du Tout-Puissant, qui, en Sa Création, opère comme Il veut. Une telle affirmation ne gêne nullement le Musulman, pour lequel la notion de mystère est plus familière qu'on ne le pense généralement ».

 

 

Qui est Jésus ?

Tout au long du Coran, Jésus est appelé « 'Issa, ibn Maryam », « Jésus, fils de Marie ». Cette filiation est fondamentale, car, d'une certaine façon, elle veut démentir la filiation chrétienne qui fait de Jésus, le Fils de Dieu. D'ailleurs, le Coran insiste sur l'humanité de Jésus. « Pour Allah, Jésus est comme Adam qu´Il créa de poussière, puis Il lui dit « Sois », et il fut. » (Coran III, 59) Pourtant, d'autres éléments de la titulature du Jésus coranique méritent d'être mis en relief car ils expriment l'éminence de son statut dans le cadre de l'économie de salut. Jésus est al-massih, le Messie, autrement dit l'Oint, kalimat Allah, Verbe de Dieu, qawl al-haqq, Parole de vérité, Ruh Allah, Esprit de Dieu, Rasul Allah, Messager de Dieu, Nabi, Prophète.

 

Pleinement humain, le Jésus coranique entretient avec la sphère divine une relation étroite. Un verset précise que Jésus est « illustre ici-bas comme dans l´au-delà », et qu'il est « l´un des rapprochés d'Allâh » (III, 45). C'est justement cette dimension transcendantale (mais non divine) qui fait de Jésus un éléments essentiel de l'eschatologie islamique.

 

Jésus, un signe de la Fin des temps

Jésus n'est pas mort sur la croix, mais a été élevé au Ciel. L'une des conséquences de cela, dans une perspective islamique, est qu'il continue à être mystérieusement présent dans l'histoire de l'humanité, non seulement après sa mort supposée, mais aussi jusqu'à la fin des temps, comme je l'ai dit au début de ce chapitre.

 

Le théologien mystique andalou Ibn Arabi (1165-1240) est très certainement celui qui a élaboré la christologie la plus surprenante, faisant de Jésus le « Sceau de la Sainteté universelle », comme Mohammed est le Sceau de la prophétie. Voici comment le cheikh al-Akbar, le grand maître, envisage le statut et le rôle de Jésus : « N'est il pas vrai que le sceau de la sainteté est un envoyé qui n'a pas d'égal dans les mondes ? Il est l'Esprit, fils de l'esprit et de Marie sa mère : c'est là un lieu où ne conduit aucune voie. [...] Quant à Jésus, il a la qualité de sceau en ce sens qu'il possède le sceau du cycle du royaume (le monde créé). En effet, il est le dernier des envoyés à apparaître, et il apparaît avec la forme d'Adam, relativement à son mode de génération, puisqu'il n'est pas engendré de père humain et qu'aucun fils, je veux dire dans la descendance d'Adam dans la suite des générations, n'est semblable à lui. [...] En outre Jésus, quand il descendra sur la terre à la fin des temps, recevra le sceau de la plus grande sainteté depuis Adam jusqu'au dernier prophète, en rendant hommage à Muhammad, du fait que Dieu ne scelle la sainteté universelle en toute communauté que par un envoyé qui suit la loi de Muhammad. Et alors, Jésus possède le sceau du cycle du royaume et le sceau de la sainteté, j'entends la sainteté universelle. »

 

L'islam a gardé de Jésus l'image d'un prophète ascète dévoué à la cause divine. L'une de ses paroles était : « Il est impossible que le cœur d'un croyant contienne à la fois l'amour de ce monde et de l'au-delà, au même titre qu'il est impossible qu'un récipient contienne à la fois l'eau et le feu. »

 

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Ce site, animé par le Collectif Algérie-Machreq, est consacré à la mémoire historique de la Nation arabo-musulmane, à l'intellectualité, la spiritualité, la culture, l'expérience révolutionnaire des peuples arabes. La Palestine sera à l'honneur. 


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