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في سبيل العروبة الحضارية - Sur le chemin de l'arabité civilisationnelle
19 février 2022

La Quasida de Beyrouth, de Mahmoud Darwich (قصيدة بيروت) (1984)

Mahmoud Darwich 1

 

 Pomme dédiée à la mer, narcisse du marbre,

Papillon de pierre, Beyrouth, forme de l’âme dans le miroir,

Description de la première femme et parfum des nuages,

Beyrouth, de fatigue et d’or, d’Andalousie et de Shâm.

Argent, écume, commandements de la terre dans les robes des colombes,

Décès d’un épi, exil d’une étoile entre mon aimée et moi, Beyrouth.

Je n’ai jamais entendu encore mon sang prononcer le nom d’une amante

     qui dort sur mon sang…et dort.

 

Une pluie sur la mer nous a enseigné le nom. Et de la saveur de l’automne,

     des oranges de ceux qui arrivent du Sud, ainsi que nos aïeux, nous venons

     à Beyrouth pour venir à Beyrouth…

Des pluies, nous avons bâti notre masure et si le vent ne court pas, nous l’imitons.

     Tel le clou planté dans l’argile, le vent creuse notre caverne et nous nous

     endormons, fourmis dans leurs fourmilières.

Comme si nous chantions en cachette :

                                                Beyrouth est notre tente.

                                                Beyrouth est notre étoile.

 

Rapines que nous, en ces temps amollis !

Les envahisseurs nous ont livré à notre parenté

Et à peine avions-nous mordu terre que notre protecteur bondit

Sur les noces et le souvenir. Nous avons alors réparti nos chansons

     entre les gardes.

D’un roi sur un trône

A un roi dans un cercueil.

Rapines que nous, en ces temps amollis !

Nous n’avons trouvé, pour ressemblance définitive, que notre sang

Et n’avons trouvé ce qui rend le sultan populaire,

Ni affable, le geôlier.

Et nous n’avons rien trouvé qui atteste notre identité,

Hormis notre sang escaladant les murs.

 

Et nous chantons en cachette :

                                                Beyrouth est notre tente.

                                                Beyrouth est notre étoile.

 

… Fenêtre ouverte sur le plomb de la mer,

Une rue et un muwashshah nous emportent.

Beyrouth est la forme de l’ombrage.

Plus belle que ses poèmes, plus simple que les ragots,

Elle nous séduit de mille commencements ouvert et d’alphabets nouveaux :

                                                Beyrouth est notre seule tente,

                                                Beyrouth est notre unique étoile.

 

Nous sommes-nous étendus sur ses saules pour prendre la mesure de corps, par

     la mer, effacés de nos corps ?

De nos premiers noms nous sommes venus à Beyrouth.

En quête des confins du Sud et d’un tabernacle pour le cœur…

Et le cœur a fondu fondu…

Nous sommes-nous étendus sur les ruines pour apprécier le poids du Nord à la

     tailles des chaînes ?

L’ombre s’est penchée vers moi, elle s’est penchée et m’a dispersé

Et l’ombre a duré duré…

Que les arbres qui voyagent de nuit nous emportent de nuit, par le collet,

Comme une grappe de morts abattus sans raison…

Nous sommes venus d’une patrie privée de sa patrie,

Venus de la main de la langue littérale et d’une fatigue…

Ruines que cette terre qui s’étend du palais de l’émir à nos geôles

Et de nos premiers rêves à …des bûches.

Alloue-nous ne serait-ce qu’un mur pour que nous puissions crier : Ô

     Beyrouth !

Alloue-nous un mur que nous puissions apercevoir un horizon et une fenêtre

     de fournaises.

Et alloue-nous un mur que nous y suspendions Sodome

Qui se divisa en vingt royaumes

Pour faire commerce du pétrole … et de l’Arabe.

Et alloue-nous un seul mur

 

Pour que nous puissions hurler dans la presqu’île d’Arabie :

                                                Beyrouth est notre dernière tente,

                                                Beyrouth est notre ultime étoile.

 

Un horizon plombé s’est éparpillé à l’horizon.

Chemins de coquillages creux… Pas de chemins.

Et de l’Océan à l’enfer

Et de l’enfer au Golfe,

Et de la Droite à la Droite au Centre,

Je n’ai vu qu’un gibet.

J’ai vu un gibet pourvu d’une

Corde

Pour deux cent millions de cous.

 

Beyrouth ! Où débute le chemin aux fenêtres de Cordoue ?

Je n’émigre pas deux fois

Ni ne t’aime deux fois.

Dans la mer, je ne vois que la mer…

Mais je tournoie au-dessus de mes rêves.

J’invite la terre à être le tabernacle de mon âme lasse.

Et je veux marcher

Pour marcher.

Et je tombe sur le chemin

Aux fenêtres de Cordoue.

 

Beyrouth est témoin de mon cœur.

De ses rues, j’émigre, et de moi,

Suspendu à un poème sans fin.

Je dis : Mon feu ne meurt pas…

Colombes sur ses immeubles,

Paix sur ses décombres…

Je referme la ville ainsi qu’un livre

Et je porte la terre menue, telle un sac de nuages.

Je me réveille et, dans les habits de mon cadavre, je cherche trace de moi.

Et nous rions : Nous sommes encore en vie,

Tout comme le reste des gouvernants.

Merci au journal qui n’a pas annoncé que j’étais tombé là-bas par inadvertance…

J’entrouvre les petits chemins devant l’air, ma foulée, les amis de passage,

L’hypocrite marchand de pain et l’image nouvelle de la mer.

Merci Beyrouth les Brumes.

Merci Beyrouth les Décombres…

Mon âme s’est brisée. Je jetterai mon cadavre en pâture pour que les invasions

     me frappent encore,

Que les envahisseurs me livrent au poème…

Je porte la langue obéissante comme un nuage

Au-dessus des trottoirs de la lecture et de l’écriture

« Cette mer abandonne chez nous ses oreilles et ses yeux »

Et s’en retourne à la mer par le chemin de la mer.

 

… Et je porte la terre de Canaan. Les envahisseurs se sont disputés ses tombes,

Mais non les conteurs.

D’une pierre naîtra l’Etat du ghetto

Et d’une pierre, nous édifierons l’Etat des amoureux.

J’improvise les adieux,

Les petites cités se noient dans les mêmes expressions.

La blessure pousse sur la lance. L’une et l’autre s’acharnent, à tour de rôle,

     sur moi,

Jusqu’à la fin de ce chant…

Je descends l’escalier qui ne mène ni à l’abri souterrain ni aux noces,

Je remonte l’escalier qui ne mène pas au poème…

Je délire quelques instants pour que viennent l’éveil et le bourreau…

Je crie : Nativité, torture-moi pour que je crie, ô Nativité…

Pour les évocations, je chevauche le chemin de Damas

Dans l’espoir d’une vision

Et j’ai honte de l’écho des cloches qui me parvient, rouilles.

Je crie à la face d’Athènes : Comment peux-tu t’effondrer en nous ?

Puis je chuchote dans les tentes bédouines :

Mon visage n’est pas vraiment clair et mes veines regorgent de blé…

J’interroge l’islam dernier :

          Au commencement était le pétrole

          Ou l’indignation ?

Je délire. Je dois paraître étranger aux miens.

 

Que les poètes s’inquiètent moins de ma langue

Et je la nettoierai d’eux et du passé…

Je n’ai trouvé d’utilité aux mots, hormis l’envie des mots

De changer d’auteur…

 

Adieu à ce qui nous attend.

A l’aube qui nous fendra sous peu.

A une cité qui nous ramènera à une autre cité,

Que se prolongent notre périple et notre sagesse.

Adieu aux glaives et aux palmiers,

A une colombe qui s’envolera de cœurs consumés de passé

Vers un toit de tuiles…

Le combattant est-il venu par là,

Tel l’obus dans la guerre ?

Ses éclats ont-ils brisé les tasses au café ?

Je vois des villes en papier armé de rois et d’uniformes kaki.

Je vois des villes qui couronnent leurs conquérants.

Et l’Orient est l’antithèse de l’Occident parfois.

Il est l’orient de l’Occident, d’autres fois

Et son image et sa marchandise…

Je vois des villes qui couronnent leurs conquérants

Et exportent les martyrs pour importer le whisky et les dernières nouveautés du

     sexe et de la torture…

Le combattant est-il venu par là,

Tel l’obus dans la guerre ?

Ses éclats ont-ils brisé les tasses au café ?

Je vois des villes qui pendent leurs amants

Aux branches de fer

Et dispersent les noms, à l’aube…

 

… A l’aube, vient le gardien de l’idole unique.

A quoi faire nos adieux, hormis cette prison ?

Qu’ont à perdre les prisonniers ?

Nous marchons vers une chanson lointaine,

Vers la liberté initiale

Et pour la première fois, nous touchons du doigt la beauté du monde.

Cette aube est bleue

Et l’air est comestible, comme les figues…

Nous montons.

Un

Et trois

Et cent

Et mille,

Au nom d’un peuple endormi à cette heure.

A l’aube à l’aube, nous concluons le poème

Et nous mettons de l’ordre dans cette anarchie aux marches de l’aube.

Bénie soit la vie !

Bénis soie²nt les vivants

Sur la terre,

Non sous le joug des tyrans !

Vive la vie !

Vive la vie !

 

Lune sur Baalbek

Et sang sur Beyrouth.

Dis-moi, la belle, qui t’a fondue,

Jument d’améthyste ?

Dis-moi, qui t’a jetée,

Deux rivières dans un cercueil ?

Aah que n’ai-je ton cœur

Pour mourir à l’instant de la mort.

 

… D’un édifice dénué de sens à un sens dépourvu d’édifice, nous avons trouvé

     la guerre…

Beyrouth est-elle un miroir, que nous le brisions et pénétrions ses éclats ?

Sommes-nous, au contraire, miroirs que brise l’air ?

Viens donc soldat, parle-moi du policier :

As-tu porté mes fleurs à la fenêtre ?

Transmis mon silence à ceux que j’aime et au premier des martyrs ?

Tes morts sont-ils morts en toi, pour moi et pour la mer ?

M’ont-ils attaqué et arraché à la main d’une femme

Qui me préparait le thé et préparait la flûte pour les combattants ?

L’église a-t-elle changé après qu’ils eurent affublé l’évêque d’un uniforme ?

A moins que la proie n’ait changé ?

Qui, de nous ou de l’église,

A changé ?

 

Rues qui nous encerclent.

Reçois Beyrouth de Beyrouth et distribue-la entre les villes.

Résultat : Un espace pour l’abri.

Pose Beyrouth dans Beyrouth et soustrais-la aux villes.

Résultat :  Une taverne.

- Nous avancons entre deux explosions.

- Nous habituerons-nous à cette mort ?

- Nous habituerons-nous à la vie et au désir insatiable.

- Connais-tu un à un les tués ?

- Je reconnais les amoureux à leurs regards.

Et j’y vois les tueuses satisfaites de leurs charmes et de leurs ruses.          

 

… Nous courbons-nous pour laisser passer l’obus ?

Nous nous souvenons des premiers jours de la guerre.

- Notre poème aura-t-il été vain ?

- Non… Je ne le crois pas.

- Mais alors pourquoi la guerre devance-t-elle le poème ?

- De la pierre, nous exigeons la cadence, mais la cadence ne vient pas.

Et les poètes ont des divinités anciennes.

 

… Passe un obus. Nous entrons au bar du Commodore

- Le silence de Rimbaud me séduit, tout comme ses lettres dans lesquelles

     parlait l’Afrique

- J’ai perdu Cavafy

- Pourquoi donc ?

- Il m’a dit : Ne quitte pas Alexandrie à la recherche d’une autre.

- Et j’ai trouvé Kafka endormi sous ma peau, à l’aise dans l’habit du

     cauchemar et du policier qui sommeille en chacun de nous.

- Délivrez-moi de mes mains.

- Que vois-tu à l’horizon ?

- Un autre horizon.

Connais-tu un à un les tués ?

- Et ceux qui naîtront…

Ils naîtront

Sous les arbres,

Et naîtront

Sous la pluie,

Et naîtront

De la pierre,

Et naîtront

Des éclats,

Et naîtront

Des miroirs,

Et naîtront

Des recoins,

Et naîtront

Des défaites,

Et naîtront

Des bagues,

Et naîtront

Des bourgeons,

Et naîtront

Du commencement,

Et naîtront

Du conte,

Et naîtront

Sans fin,

Et naîtront et grandiront et seront tués

Et naîtront et naîtront et naîtront.

 

Expliquez ce qui suit :

Beyrouth (Mer – Guerre – Encre – Gain)

 

La mer : Blanche ou de plomb. Verte en avril.

Bleue. Mais si elle se fâche, elle rougeoie en toutes saisons.

Et la mer : Elle s’est penchée vers mon sang,

Pour être l’image de ceux que j’aime.

 

La guerre : Elle démolit notre pièce de théâtre pour nous contraindre

     à jouer sans texte ou dialogues.

La guerre : Mémoire des primitifs et des civilisés.

La guerre : Elle commence dans le sang,

La guerre : … s’achève dans l’air.

Et la guerre : Elle fait une trouée dans notre ombre pour passer d’une porte

     à l’autre.

 

L’encre : Réservée à la langue littérale, aux officiers, aux spectateurs de nos

     chansons

Et à ceux qui rendent les armes devant le paysage d’une mer triste.

L’encre : Fourmis noires ou maître.

L’encre : Notre isthme abrité.

 

Le gain : Dérivé de la guerre en cours

Depuis que nos corps se sont vêtus du soc de la charrue,

Depuis la première chasse à l’antilope

Jusqu’à l’apparition des socialistes d’Afrique et d’Asie !

Le gain : il nous gouverne,

Nous arrache aux outils et aux mots.

Il dérobe notre chair

Et la revend.

 

Beyrouth – Souks sur la mer.

Economie qui détruit la production

Pour édifier hôtels et restaurants…

Etat dans une rue ou un appartement.

Café, qui tel le tournesol, suit le soleil.

Description de la migration et de la beauté libre.

Eden des minutes.

Une place dans un duvet d’oiseau.

Montagnes qui descendent en hommage à la mer.

Mer qui monte vers les montagnes.

Gazelle égorgée avec l’aile d’un moineau

Et un peuple qui n’aime pas l’ombrage.

Beyrouth – Rue dans des navires.

Beyrouth – Port pour le regroupement des villes.

 

Elle s’est retournée contre nous et nous a tourné le dos. Nous a abandonnés,

     abandonnés.

Beyrouth, un autre nuage trahira-t-il ceux qui te regardent ?

Architecture qui se marie aux envies des castes nouvelles.

Ecume des jours entre sac et ressac.

Ordure envolée des degrés vers le trône.

Architecture de la décomposition et de la recomposition,

Mêlée des passants sur les trottoirs au soir précédant le séisme.

Elle s’est retournée contre nous et nous a tourné le dos.

Son urbanisme, les lignes du monde marchant vers le nouveau marché.

Un monde qui s’achète et se vend, grimpe ou chute au gré des taux du dollar

Et de l’once de l’or qui grimpent ou chutent au gré de la variation des prix

     du sang oriental.

Non… Beyrouth est la boussole du combattant.

Nous emmenons les enfants à la mer pour qu’ils nous fassent confiance…

Souverain est le roi nouveau

Et la voix de Feyrouz, équitablement répartie entre deux communautés,

Nous guide vers ce qui fait des ennemis une seule famille

Et du Liban, une attente entre deux moments de notre histoire de sang.

 

- Le chemin s’est-il rétréci, prend-il naissance à tes pas, camarade ?

- Assiégé par la mer et les livres saints.

- Est-ce la fin ?

- Non, nous tiendrons comme les vestiges des Anciens, comme un crâne

     surplombant les jours, nous tiendrons comme l’air et le regard des martyrs,

     nous tiendrons…

L’un et l’autre mélangent la nuit à la barricade. Tous deux attendent ce qu’ils

     ignorent.

Ils cachent le monde arabe sous un vêtement en lambeaux dénommé Unité.

L’un et l’autre se partagent la nuit :

- Layla ne me croit pas, mais je crois ses mamelons lorsqu’ils se rebiffent…

   Elle m’a séduit par sa prestance.

   Hanches d’antilope, cuisses de gazelle, aile de passereau, éclat de chandelier.

 

Chaque fois que je l’ai enlacée, elle a appelé de ses vœux les balles perdues…

- Souverain est le roi nouveau.

   Combien encore nous distrairons-nous avec cette mort ?

- Je ne sais. Mais nous assurerons la sécurité d’un poète au récital

- A quel parti appartient-il ?

- Au Parti de la défense des banques étrangères et de l’assaut du parlement.

- Combien encore les partis se multiplieront-ils, alors que disparaissent les

     classes, camarade ?

- Je ne sais.

   Mais je te liquiderai peut-être ou tu me liquideras si  nous divergeons sur

   la définition de la féminité…

 

- Elle est la braise qui vient des jambes, nous brûle

- Elle est la poitrine qui respire les vagues, nous noie.

- les yeux s’ils égarent la genèse de l’univers.

- le cou que l’on peut boire ;

- Les lèvres lorsqu’elles appellent l’astre salé.

- Elle est l’inintelligible.

- elle est l’intelligible.

- Je te tuerai. Mon révolver est prêt. Souverain est le roi.

   Le révolver est prêt.

Beyrouth, forme pour la forme,

Géométrie des ruines…

 

Mercredi. Samedi. La vendeuse de bagues.

Barrage de fouille. Un pêcheur. Butins.

Langue et anarchie. Nuit du lundi.

Ils ont monté les escaliers,

Emporté ce qu’ils pouvaient. Qui n’est pas des nôtres

Est du camp des Arabes, de leur engeance. Bétail.

Mardi. Jeudi. Mercredi.

Et ils empoignèrent quatre-vingt-dix guitares et chantèrent

Au banquet des bûchers humains.

 

Lune sur Baalbek

Et sang sur Beyrouth.

Dis-moi, la belle, qui t’a fondue,

Jument d’améthyste ?

Dis-moi, qui t’a jetée,

Deux rivières dans un cercueil ?

Aah que n’ai-je ton cœur

Pour mourir à l’instant de la mort.

 

Nous avons incendié nos vaisseaux et suspendu nos étoiles aux remparts.

Nous, en faction sur les lignes de feu, nous proclamons ce qui suit :

   Une pomme, Beyrouth,

   Et le cœur ne rit pas.

   Oasis que notre encerclement dans un monde en perdition.

   Nous ferons danser la place

   Et marierons le lilas.

Nous avons incendié nos vaisseaux et suspendu nos étoiles aux remparts.

Nous n’avons pas recherché les ancêtres dans les arbres des généalogies.

Nous n’avons pas voyagé hors du pain pur et de notre vêtement de glaise

Et aux coquillages des lacs anciens, nous n’avons pas envoyé l’image de

     nos pères.

Nous ne sommes pas nés pour demander : Comment s’est opéré ce passage

     inédit de l’inorganique à l’organique ?

Nous ne sommes pas nés pour demander…

Nous sommes nés n’importe comment.

Nous nous sommes répandus, telles les fourmis sur la paillasse,

Puis nous nous sommes changés en chevaux de trait.

Nous, en faction sur les lignes de feu,

Nous avons incendié nos vaisseaux et étreint nos fusils.

Nous réveillerons cette terre qui pris appui sur notre sang.

Nous la réveillerons et, de ses cellules, nous extrairons nos morts.

Nous laverons leurs cheveux de nos larmes blanches.

Sur leurs mains, nous verserons le lait de l’âme pour qu’ils se réveillent

Et nous aspergerons leurs cils de nos voix :

Levez-vous, nos aimés, rentrez à la maison.

Revenez au vent qui, de nos côtes, a déraciné le sud de la terre.

Revenez à la mer qui n’invoque ni les vivants ni les défunts.

Revenez encore une fois,

Car nous ne sommes pas partis sur vos traces en vain.

 

Ici nos vaisseaux ont brûlé

Et nulle autre terre que vous, que nous défendions ses courbes et son blé.

Nous écarterons de vous l’oubli, nous vous protégerons

Avec les armes forgées pour nous de vos mains.

Et nulle autre terre que vous, sur laquelle clouer nos pieds…

Revenez que nous vous protégions.

« Et quand bien même sur la pierre nous serions immolés »,

Nous n’abandonnerons pas la place du silence. Elle a nivelé vos mains.

Pour elle et pour vous, nous nous sacrifierions.

Ici nos navires ont brûlé,

Et nous avons campé sur le vent qui, ici, regorge de vous.

Et quand bien même toutes les armées de la terre monteraient à l’assaut

     de ce mur humain,

nous n’abandonnerons pas la géographie de votre sang.

Ici nos navires ont brûlé.

De vous… d’un bras qui ne nous enlacera plus,

Nous édifierons notre pont en vous.

Le soleil nous a rôtis.

Vos cages thoraciques nous ont ensanglantés.

Vos exils ont usé nos articulations.

« Et quand bien même sur la pierre nous serions immolés »,

Nous ne dirons pas oui.

Car de notre sang à notre sang s’étendent les frontières de la terre.

De notre sang à notre sang,

Le ciel de vos yeux et les prés de vos mains.

Nous vous appelons

Et l’écho nous revient, patrie.

Nous vous appelons

Et l’écho nous revient, corp de ciment.

Nous, en faction sur les lignes de feu, nous proclamons ce qui suit :

Nous n’abandonnerons pas la tranchée,

Tant que durera la nuit.

A l’absolu, Beyrouth est dévolu

Et nos yeux sont consacré au sable.

Au commencement, nous ne fûmes pas créés,

Au commencement était le verbe.

Et voici que dans la tranchée,

Apparaissent les signes des gestations.

 

Pomme dans la mer, femme du sang pétri d’arches,

Echiquier des mots,

Reliquat de l’âme, appels au secours de la rosée,

Lune fracassée sur la terrasse de la nuit,

Beyrouth, améthyste qui hurle, brûlée à vif, sur le dos des colombes,

Rêve que nous porterons et rêverons quand il nous plaira et suspendrons

     à nos cous.

Beyrouth, tubéreuse des débris

Et premier baiser. Apologie des lilas de Chine. Manteau pour la mer et

     les trépassés.

Toits pour les astres et les tentes.

Poème de la pierre. Choc de deux alouettes cachées dans une poitrine…

Ciel amer, assis, pensif, sur une pierre.

Rose audible, Beyrouth.  Voix décisive entre la victime et le glaive.

Et un enfant, venu à bout de tous les Commandements

Et de tous les miroirs

Et … qui s’est endormi.

 

Ce poème a été publié en  1984, et il fut traduit de l’arabe par Elias Sanbar, et est paru dans « La terre nous est étroite et autres poèmes », Mahmoud Darwich (Paris, Editions Gallimard (Poésie), 2000)

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