La Fonction "Mémoire" dans la Bataille nationale-civilisationnelle arabo-musulmane, par Kamel Nasser

Dans sa Critique de l’Économie politique (1859), le philosophe social allemand Karl Marx a écrit ceci : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. » Personne ne saurait nier la justesse et la vérité de cette pensée. Mais rien n’empêche de poser la question suivante : quelle est cette existence sociale qui détermine la conscience ? Cette existence sociale se réduit-elle aux conditions sociales matérielles de l’existence, à la maîtrise des forces de productions, au statut que l’on a dans la trame complexe des rapports sociaux?

Pour ma part, il me semble évident que nous devons avoir une haute idée de ce qu’est l’« existence sociale ». Dans la mesure où le réel ne se réduit pas au matériel, mais l’intègre, nous devons être attentifs à ces dimensions immatérielles, inobjectivables, qui sont engagées dans l’aventure humaine, comme les dimensions métaphysiques, spirituelles, intellectuelles, esthétiques, symboliques, psychologiques. L’une des dimensions immatérielles du réel, de l’existence sociale, qui apparaît comme décisive est celle de la mémoire. On ne peut la peser, la quantifier, la mettre en équation, car elle échappe à toute détermination, mais elle se manifeste réellement dans la vie des hommes et des femmes, des peuples et des nations. C’est la mémoire qui permet la continuité du sens, aussi bien au niveau de l’individu qu’au niveau de la collectivité. Sans la mémoire, le temps cesse d’être vivant, organique, et se mutile en un simple écoulement des événements séparés les uns des autres.

Dans le contexte de notre Nation arabo-musulmane, la bataille pour la renaissance nationale-civilisationnelle est clairement matérielle : géostratégique et géoéconomique (nous le voyons, par exemple, avec les pressions de l’impérialisme occidental sur l’Algérie, en raison de ses positions souverainistes, notamment sur le terrain de la transition énergétique). Mais cette bataille revêt aussi une dimension culturelle. L’agitation permanente des milieux franco-berbéristes (en Algérie, mais aussi au Maroc), la fascination exercée par le consumérisme occidental, la présence encore massive de la langue française dans les rouages des administrations publiques de l’État, constituent quelques exemples qui témoignent de l’importance du volet culturel de cette bataille nationale-civilisationnelle.

Oui, « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience ». Et lorsque ces humains assument pleinement, avec conscience, les héritages, les filiations, les patrimoines reçus, ils peuvent se transformer, et transformer le monde quand celui-ci est injuste. Avec la mémoire (notamment celles luttes, des révolutions, des insurrections) posée au cœur de la conscience, les humains cessent des victimes, pour devenir des héros.