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في سبيل العروبة الحضارية - Sur le chemin de l'arabité civilisationnelle
17 décembre 2020

L’Hégire comme destin et la Futuwwa comme chemin. Réenchantement du monde et Nomadisme de l’Ame arabo-musulmane

Antar

« La futuwwa est l’émigration vers Dieu de tout son cœur et de tout son être, ainsi que nous le rapporte Dieu Lui-même - exalté soit-Il ! - Lot, donc, crut en Lui, et dit : « Oui, j’émigre vers mon seigneur ; c’est lui le Puissant, le Sage » (XXIX/26) » Sulami
L’Hégire (hijra) n’est pas uniquement un événement de l’histoire de la première communauté (oumma) musulmane. Elle n’est pas seulement un épisode de la vie du Prophète Mohammed (que la paix soit sur lui), un élément de sa biographie ; et il est triste de constater que souvent l’Hégire n’est compris que sous l’angle d’une historiographie qui prétend circonscrire et expliquer par des « faits objectifs » l’impulsion originelle de l’Islam. Ce que nous proposons ici, ne relève pas d’une explication de texte, mais veut être plutôt une sorte de méditation poétique d’un fait à la fois objectif et subjectif, historique et transcendantal, existentiel et essentiel.
Si nous prenons au sérieux les historiens de l’Islam, l’Hégire renvoie à la traversée du désert entre la Mecque et Yathrib (qui allait devenir al-Médina, la Ville !), dans la péninsule arabique, par le Prophète Mohammed (que la paix soit sur lui). On ne s’intéressera pas ici au contexte socio-politique de cet événement (la persécution par les marchands mecquois), mais à ceci : l’Hégire résonne dans notre propre conscience comme la métaphore vive de la nature profondément passagère de notre existence. L’Ame arabo-Musulmane, en se donnant comme destin le retour au Principe originel, à l’Un, se fait âme cheminante, âme pèlerinante. Notre intuition et que cette Ame est fidèle à son destin dans la mesure où elle se fait hégirienne.
Pèlerinage de l’Ame
Le voyage de l’Ame (qui devrait être celui de la Conscience de toute notre oumma et, au-delà, de toute communauté humaine) se déroule dans quatre directions : un espace et un temps objectifs, d’une part, et un espace et un temps subtils (au sens d’intérieur), d’autre part. L’Hégire désigne un mouvement dans un espace concret et, simultanément, un mouvement dans le temps concret. Est-ce un hasard, ou au contraire le signe d’une « Claire-conscience », d’une « Claire-voyance » de la oumma, si cet événement fût pris comme point de départ, espace d’envol, de la temporalité islamique : le calendrier musulman commence en 622 de l’ère chrétienne ! Mais, l’espace et le temps ne se réduisent pas à ces dimensions objectivables. L’espace-temps de la Création (khalq) est un cosmos vivant, véritable biodiversité d’images archétypales, de théophanies qui subtilement disent une profondeur et une légèreté, une altitude et amplitude. Ces images archétypales sont des signes qu’il nous faut lire. Nous sommes appelés, comme hégiriens, comme cheminants , comme pèlerins, à faire de nos vies des explorations de cet univers qualitatif qui, malheureusement, est souvent réduit à une collection de choses inanimées, séparées, fixes, désenchantées. La langue arabe dit merveilleusement, comme une Mère veilleuse, cette subtilité, cette profondeur qualitative de l’univers : ce que nous pourrions prendre, si notre conscience cessait d’être en quête, pour des choses qui sont en réalité des signes, des ayât. Or, ce terme désigne également les versets qui composent la parole divine telle qu’elle se révèle à travers le Coran. L’univers, comme espace-temps objectif et comme espace-temps transfiguré et signifiant, est un Coran cosmique.
Notre pèlerinage, dans nos existences, est une odyssée faite de lectures, d’interprétations, de psalmodies. L’humanité que nous habitons est une humanité littéraire et, dans la perception arabo-musulmane, une humanité poétique. Même si ce mot est du romantique allemand Holderlin, un Arabe et un Musulman se reconnaîtront pleinement dans cette vérité : il faut habiter le monde en poète ! Là encore, la langue arabe dit une autre merveille : l’habitat, la maison, la demeure est dite bayt. Et ce mot désigne également le vers du poème.... Le pèlerin est un meddah, un maître du Conte. Mais, nous nous tromperions, si nous comprenions cette maison, ce bayt, comme lieu fixe. L’image qui nous vient à l’esprit est celle de la caravane. Le caravanier chaque nuit pose sa demeure dans un lieu différent et pourtant, à chaque fois, il y a au sein de la tente la même structure, le même ordre. Si l’ordre n’était pas dynamique, il serait rigidité. Et si le cheminement n’était pas ordonné, si le pèlerinage de l’âme n’était pas polarisé par cette quête de l’Un, il serait éparpillement, dispersement.
Au contraire, la philosophie islamique hégirienne nous propose une voie de réalisation spirituelle qui est une véritable écologie, extérieure et intérieure, une écologie des mondes aux alentours et des mondes dont les lieux sont situés dans notre propre profondeur. Et toujours, l’esprit qui guide à cette transhumance spirituelle est d’exploration et non de conquête. C’est d’ailleurs en explorant les mondes en vue de l’Un que nous pouvons maîtriser les énergies de la terre. Le contre-esprit de conquête, lui, tuera ces énergies. C’est d’ailleurs une discipline de la chevalerie spirituelle musulmane, la futuwwa, que de maîtriser les énergies du cimeterre et de la lance. La futuwwa se veut pratique du jihâd majeur, autrement dit d’un effort chevaleresque visant à stabiliser, d’une façon dynamique, notre âme.
De la filière de la futuwwa
Parmi toutes les institutions de la civilisation arabo-musulmane, celle de la futuwwa nous parle au cœur d’une façon toute particulière. Méconnue par la plupart des Arabes et Musulmans d’aujourd’hui, la futuwwa a pourtant, durant plus d’un millénaire, illuminée notre Moyen Age qui fut tout, sauf un âge moyen ! Ce terme renvoie à une racine de la langue arabe qui désigne la jeunesse : le fata est le jeune homme par excellence et cela bien avant la naissance de l’islam historique. Le Coran utilise le terme à propos d’Abraham, appelé également khalil Allah, l’Ami de Dieu.... (XXI/60). La futuwwa est le nom des grands mouvements de la jeunesse arabe et musulmane, notamment dans les grandes cités du Machreq, du Maghreb, de Perse, etc. Mais cette juvénilité est toute singulière car transcendantale, les qualités de cette jeunesse étant celles d’une chevalerie célestielle. La futuwwa est ainsi traduite par chevalerie.... L’idéal chevaleresque en islam n’est pas une pratique mortifère ou sombre. Le fata-chevalier est un chevalier joyeux, car ses cheminements, ses pérégrinations, qui sont son existence même, le mènent à chaque fois à des aspects différenciés de l’unique Réalité, al-Haqiqa. Le spirituel Abû abd al-Rahmân ibn al-Husayn al-Sulami, qui vivait au Xème siècle, est l’auteur d’un traité mystique sur la futuwwa. On peut y lire ceci :
« La Futuwwah c’est avoir un sens de la convivialité et de savoir goûter à des relations joyeuses et amicales. Il nous a été rapporté d’après Husayn Ibn Zayd que celui-ci demanda à Ja’far Ibn Muhammed :
- Puis-je donner une vie pour toi ! le Prophète avait-il l’habitude de plaisanter amicalement avec les autres ?
Il répondit :
- Dieu l’a pourvu d’un caractère d’une extrême noblesse dans la façon même qu’il avait de plaisanter amicalement avec les autres. Dieu a envoyé Ses Prophètes et il y avait en chacun d’eux une certaine contrition. Puis il a envoyé Muhammad dont l’état était celui de la compassion et de la miséricorde. Un signe de compassion pour ceux de sa communauté consistait précisément dans le fait qu’il leur parlait d’une manière aimable et plaisante. » (Futuwwah. Traité de chevalerie soufie, Paris, éd. Albin Michel, 1989, traduit par Faouzi Skali, p. 58)
Il y a une relation d’intimité entre jeunesse, chevalerie, joie, noblesse de l’âme et les spirituels de l’islam citent souvent ce dit prophétique (hadith) : « J’ai été envoyé pour parfaire la noblesse du comportement ». Et parmi les qualités les plus importantes que la fata-chevalier doit pratiquer, est la générosité. Si la vie est un passage qui va de l’Origine vers le Vivant par excellence, alors le cheminement ne peut être que gratuit, sans compte, sans marchandage. Le don est ici lien social, fondement de l’amitié, élan vers la transcendance. Il faudrait lire, sur cette question, et sur la futuwwa en général, le très beau livre de Laila Khalifa, Ibn Arabi. L’initiation à la futuwwa (Paris-Beyrouth, éd. Albouraq, 2001).
La filière de la futuwwa fut incontestablement une filière de justice sociale : le don et la générosité se pratiquaient entre les frères, les amis de cette chevalerie, mais également dans l’espace public. C’est ainsi que la futuwwa renvoie également à l’institution des corporations de Métier, des guildes, dit autrement dit du compagnonnage et selon certains historiens, il est probable que nous avons là, l’une des sources du compagnonnage médiéval européen. Il existait des futuwwa d’artisans, d’arbalétriers, des archers, des courriers, de bâtisseurs de mosquées.
Jeunesse, chevalerie célestielle, compagnonnage, la futuwwa est un trésor de la civilisation arabo-musulmane et, dans la mesure, où la quête spirituelle qu’elle dynamise, qu’elle fertilise, est intimement liée à notre humanité, elle est éternelle et donc susceptible d’être encore vécue aujourd’hui. En fait, notre idée est plus radicale encore : la futuwwa ne doit pas être considérée comme une possibilité héritée d’un passé, certes glorieux, mais comme un impératif, une exigence, à la fois pour des raisons sociales et historiques et pour des raisons liées à la fitra de l’ »humain, sa nature première.
Futuwwa et réenchantement du Monde
Nous disions en commençant ce texte que les pérégrinations auxquelles nous sommes conviées se déployaient dans toutes les directions de notre univers. L’Hégire est un processus holistique, global, multidimensionnel. Nous l’avons vu avec la futuwwa : l’idéal chevaleresque se vit entre transcendance et immanence, verticalité et engagement social, mystique et politique.
Aujourd’hui, lorsque nous regardons, même d’une façon distraite, le présent de notre monde arabe et musulman, nous ne pouvons échapper à un doute et certains, même, sombrent dans une sorte de désespérance qui se nourrit d’une actualité de crise, de conflits, d’occupation, de mal-développement social et économique, de dépendance à l’égard du monde occidental, de fondamentalisme étroit : la Palestine et l’Iraq sont les visages de cette tragédie arabe et musulmane d’aujourd’hui. De nombreux poètes arabes ont même associé la nakba, la Catastrophe de 1948 qui a vu la disparition de la Palestine, à la chute de la Grenade arabo-andalouse en 1492 !
La futuwwa peut être un recours à la désespérance en ce sens qu’elle réconcilie, face à l’islam occidentalisé, libéral et exogène d’un côté et le fondamentalisme étroit et bigot de l’autre, les univers de la vie intérieure et de la vie dans la cité, les quêtes spirituelles, intérieures, subjectives et les quêtes de justice sociale et de dignité. La futuwwa, comme jeunesse, chevalerie célestielle et compagnonnage, articule d’une certaine manière trois principes : un principe de responsabilité, un principe d’espérance et un principe de plaisir. Dit autrement, si la résistance à la désespérance ne se fait pas réenchantement du monde, c’est paradoxalement le contre-esprit mortifère de cette désespérance qui triomphe. La posture victimaire n’est pas chevaleresque et si un verset du Coran rappelle la posture du fata-chevalier, c’est bien cet impératif : « Je vous exhorte seulement à une seule chose : Dressez-vous dresser vers Dieu... » (XXXIV/46).
La futuwwa à laquelle nous appelons doit être comprise à la fois dans la fidélité à la tradition médiévale - qui n’a pas dit son dernier mot malgré des siècles de décadence et une fascination contemporaine pour ce que le sociologue allemand Max Weber a nommé la « modernité capitaliste » - et dans l’imagination active de notre conscience. Il ne s’agit nullement d’un retour au passé, mais d’un retour au Principe, en opérant un détour par le legs médiéval, ses richesses et ses valeurs. Une futuwwa actuelle qui assumerait le meilleur du patrimoine arabo-musulman, du théologique au mystique, du légendaire au philosophique, du scientifique à l’artistique, de la grammaire sacrée au poétique, de l’érotique au juridique, etc., serait une futuwwa du IIIème Millénaire.
Réenchantement du monde et Nomadisme de l’Ame arabo-musulmane. Une futuwwa pour la jeunesse musulmane d’Europe ? !
Métaphysiquement, notre jeunesse musulmane d’Europe se trouve dans une situation qui rappelle les Jeunes de la Caverne évoqués par le Coran (XV III/10,13). Est-il étonnant que ces jeunes soient désignés par le pluriel de fata : fityan ! Ces jeunes, qui sont endormis dans la Caverne en attendant la sortie d’un sommeil qui dure depuis des lustres, sont des chevaliers du Ciel. La futuwwa, comme mouvement d’éveil vers la transcendance, éveil qui nous fait traverser le cosmos vivant dans lequel nous sommes, correspond à cette sortie du sommeil. Dans cette optique, l’entrée dans la filière spirituelle/sociale de la futuwwa est un processus de conscientisation. Prendre conscience, s’éveiller, c’est se dresser vers Dieu ! Mais cette attitude aristocratique (au sens noble du terme), car récusant la posture victimaire dont nous parlions précédemment, est exigence et effort. L’entrée dans la futuwwa, en vue de la réalisation spirituelle, de la justice sociale, de l’anoblissement des qualités de l’âme, entrée dans l’Hégire...
Entrer dans la futuwwa c’est donc faire la hijra, l’expatriement vers l’Un, non pas de soi à Dieu, mais soi à Dieu par le Monde. La futuwwa n’est pas une voie a-sociale, ni une fuite de la réalité. Bien au contraire, elle est la plus haute conscience de cette réalité et la plus haute possibilité de la vivre dans ce qu’elle nous offre de créativité, de liberté, de joie, et de la dépasser dans ses injustices et ses adhérences inessentielles. Ecoutons encore Sulami :
« La Futuwwah consiste à prendre conscience de la valeur de la situation où l’on se trouve à chaque moment. On nous a rapporté que Junayd a dit : « Les meilleurs œuvres consistent à agir selon les convenances de la situation où l’on se trouve ; que l’on ait en vue ses propres limites, les exigences de l’instant où l’on se trouve et la pleine conformité à son Seigneur.
Muhammed Ibn’Ali al Tirmidhi a dit : « Il n’est personne qui ait su agir selon les convenances de la situation où il se trouve à chaque instant et dans tous les états, que al Mustafa disant en ce monde : « Je T’ai soumis mon âme, je T’ai remis tout ce qui me concerne entre tes mains et je me suis abandonné à Toi. » Et il a dit aussi : « Je m’en remets à Toi de Toi-même »
Et lorsqu’il se trouve dans la présence divine, Dieu - exalté soit-Il ! - a rapporté à son propos ce verset où il fait son éloge et qui fut pour lui la meilleure des parures : « Tu es vraiment d’une grande noblesse de caractère » (LXVIII/4) » (idem, p. 108)
La futuwwa est donc conscience vive de l’instant, afin d’en actualiser ses potentialités créatrices. Cette actualisation n’est possible que si nous entrons dans la Présence divine. Or, celle-ci n’est pas autre chose que le Monde dans sa profondeur qualitative. Lorsque nous contemplons le Monde dans ses images archétypales, ses beautés, nous contemplons l’Un qui se donne à nous à travers ses Noms et Attributs qui irradient l’Univers, qui font qu’il est cosmos et non chaos. Nous parlions d’une écologie spirituelle à propos de l’élan hégirien et c’est justement à travers elle, grâce à elle, que la Présence divine se manifeste. Notre jeunesse musulmane est appelée à cette écologie spirituelle. C’est l’un des signes de la futuwwa du IIIème Millénaire.
La futuwwa d’aujourd’hui prendra son essor selon des formes inédites, et dans des contextes improbables. Nous ne croyons pas que la vie associative actuelle de notre communauté musulmane soit de nature à générer une telle dynamique chevaleresque. Ses mouvements de jeunesse ne sont encore que des mouvements de résistance et insuffisamment des espaces de réenchantement du monde et de liberté créatrice. Certes, la résistance est d’une importance cruciale en cette période et les coups que cette communauté reçoit, par exemple en France, de la part d’une société post-coloniale qui prolonge la logique coloniale d’antan, méritent une réponse ferme et non un repli ou une fuite ou, pire, un renoncement.
Le fata-chevalier assume ses responsabilités : maintenir et déployer dans la oumma et dans la vie en général les qualités chevaleresques dont il est dépositaire. Mais il est des résistances, légitimes, qui peuvent conduire à des impasses quand elles apparaissent comme résistances victimaires.
Avant d’être des victimes du racisme, des discriminations, des politiques coloniales/néocoloniales/postcoloniales, les Arabes et les Musulmans d’Europe sont les héritiers de l’une des plus grandes et des plus belles aventure historique qui, pendant au moins un bon millénaire, a irrigué l’humanité elle-même, y compris l’Europe. On se souvient du livre de cette historienne allemande, Sigrid Hunk, Le soleil d’Allah brille sur l’Occident. La futuwwa du IIIème Millénaire devrait même assumer les nombreux héritages civilisationnels - avant même l’islam historique -, ne serait que pour contrer leurs captations/déformation occidentale (illustrées par les phénomènes du berbérisme latin en Algérie et au Maroc, du phénicianisme maronite au Liban). Le regretté Edward Saïd, figure illustre de l’intellectualité palestinienne, arabe et universelle, a écrit une belle œuvre sur cette question avec L’Orientalisme. L’Orient crée par l’Occident.
Là, la futuwwa rencontre et intègre la fantastique transcendantale (pour reprendre la belle expression du romantique Novalis) de toute une histoire : des poèmes des Mou’alaqat à ceux d’al-Moutannabi, de la hikma (sagesse) de ce fou de Louqman à la falsafa d’al-Kindi, de l’apophase des ces transcendantalistes qu’étaient les Néopythagoriciens et Néoplatoniciens de Syrie (de Jamblique à Syrianus, en passant par Damascius) et du harân à la fameuse école des Frères de la Pureté, ikhwan as-Safa. Bayt al-Hikma (Maison de la Sagesse) fut l’un des symboles de cette grandiose aventure humaine et spirituelle. Bagdad, en enfantant et en abritant cette institution transdisciplinaire, offrait au monde arabe, au dâr al-islam (Maison de l’Islam) et à l’humanité, une précieuse contribution. Des dizaines de traducteurs, de scribes, de philosophes, de scientifiques sauvegardaient et valorisaient les patrimoines antiques. Les jeunes Arabes et Musulmans sont les enfants de bayt al-hikma. D’ailleurs, c’est à Bagdad que le Calife Al Nasir li-Din Allah institua la futuwwa comme structure même de l’Empire arabo-musulman, en recevant, dans la grande tradition chevaleresque, l’investiture des mains du cheikh ‘abd al-Jabbar, représentant de l’Ordre de chevalerie dans la capitale abbasside.
Il nous semble, et cela est une intuition, que la futuwwa re-naîtra de la rencontre entre des personnalités libres, jeunes hommes et jeunes femmes, personnalités non pas au sens social du terme, mais comme individualités qualitatives. Les critères, ici, ne sont pas les marques de la reconnaissance sociale, mais les qualités de l’âme, du dévouement dans l’Invisible, de la Claire-conscience. Sans nul doute, et avec l’aide de Dieu, ils se reconnaîtront, sur les chemins parcourus. Cela ne signifie pas que cette futuwwa ne soit liée qu’à une histoire d’individus. Cela serait remettre en cause sa dimension holistique et globale. En fait, le mouvement social, les actes de résistances, l’effervescence associative sont des conditions nécessaires, des conditions objectives. C’est souvent en situation de crise que des tempéraments chevaleresques se révèlent. A nous tous d’être attentifs.
Sous le signe de l’Araignée
Dans cette aventure que fut la traversée du désert entre La Mecque et Yathrib - traversée qui était comme la trace matérielle de l’Hégire, son déclencheur dans le temps de l’islam historique -, il y a un épisode qui nous a particulièrement parlé. A un moment, les marchands mecquois qui pourchassent le Prophète Mohammed et son compagnon Abû Bakr (que la paix soi sur eux) sont près de les saisir. Ceux-ci ont la vie sauve car, non seulement ils se cachent dans une grotte, mais aussi parce qu’une araignée, d’une façon toute miraculeuse, tisse une toile devant son entrée. Les mecquois font dès lors demi-tour : jamais le prophète n’aurait pu entrer dans cette grotte sans déchirer la toile !
Intervention divine, certes ! Mais O combien porteuse de significations singulières. La grotte est, dans de nombreuses cultures humaines, un lieu de concentration de grandes énergies, lieu tellurique par excellence ; elle est l’un des espaces de la puissance, de la générosité de la Terre. Dans l’imagerie des peuples du monde, on parle à son propos de la Vouivre, de Tarasque, du dragon. L’imaginaire arabo-musulman porte les traces de cette conception subtile de la Nature vivante. D’ailleurs, n’est-il pas significatif que ce soit dans une autre grotte, près de La Mecque, que ce même Prophète reçu de la part de l’Ange la première révélation, douze ans auparavant ? L’araignée, ici, dans le contexte, figure cette énergie de la Terre qui protège, sur ordre céleste, le Messager. De la grotte de la révélation à celle de l’araignée, nous avons une itinérance à la fois intérieure et extérieure sur les chemins de la Vouivre. La tradition arabo-musulmane possède la conscience de cette véritable géobiologie, de cette science spirituelle des lieux, aussi bien des centres de passage que des points reculés. On se souvient, toujours dans notre contexte hégirien, qu’à son arrivée à Yathrib, voulant ériger une mosquée, il se posa la question de son site. Le Prophète demande à un..... animal, une chamelle de trouver le lieu adéquat ! Comme si les humains, pour diverses raisons, n’étaient plus en lien subtil avec les lieux subtils. Quoiqu’il en soit, la chamelle trouva ce point d’énergie, lieu de reliance entre terre et ciel. Devenant Médine, la ville du Prophète, point d’arrivée de l’Hégire, se donnait à l’humanité comme lieu saint, lieu de pèlerinage.
Grotte, géobiologie, lieu saint, araignée... Nous pourrions également évoquer une autre itinérance, une autre traversée des lieux, mais cette fois elle n’est plus tellurique mais cosmique, le Voyage nocture, le mir’aj, au cours duquel le Prophète reçut des enseignement divins. Significatif est le fait que le Prophète monta de ciel en ciel sur le dos d’une créature éminemment cosmique et magique, une jument ailée avec une tête de femme du nom d’al-bouraq. Reprenons le mot de Novalis : nous sommes en présence d’une véritable fantastique transcendantale qui nous ouvre la porte de cette écologie spirituelle à laquelle nous sommes conviés.
Le cheminement du fata-chevalier se fait dans une Nature vivante qui invite à la transcendance divine. En fait, cette Nature est l’immanence divine elle-même, la Présence, hadra, de Dieu nous parlions, une présence composée d’une infinité d’images, de couleurs, de visages, de sons, de parfums, qui sont autant d’éclats matérialisés de l’Un. Le grand spirituel Dhû l-Nûn al-Misrî s’exclame ainsi :
« O Dieu, je n’ai jamais prêté l’oreille au cri des bêtes sauvages ni au bruissement des arbres, au clapotement des eaux ni aux chants des oiseaux, au sifflement du vent ni au roulement du tonnerre sans percevoir en eux en témoignage de Ton unité - wahdânîya - et une preuve de Ton caractère incomparable » (cité dans Anthologie du soufisme, Paris, éd. Albin Michel, 1995, p. 198)
La futuwwa est un chemin initiatique à travers le Monde, ses lieux, ses points d’énergie, et le jeune chevalier est un itinérant. Cela ne signifie nullement qu’il doive quitter ses points de repères. Au contraire, dans le désert, le chamelier est en quête de ces points, qui, souvent, sont dans le Ciel, à travers les étoiles. Le Ciel est aussi lieu de la Présence divine. Le Coran ne dit-il pas que Dieu est le Seigneur de Sirius ? En fait, être un itinérant de l’âme, avoir l’âme hégirienne, c’est ne pas se satisfaire des acquis, c’est se défaire des habitudes, des imitations (taqlid), des idées fixes, des idées toutes faites, et même de cette pseudo-pensée spirituelle - constituée d’une suite d’idée-fixes se donnant l’apparence d’une pensée fluide, vivante, mouvante - qui pollue notre jeunesse (nous faisons allusion aussi bien à cet « islam » à la française, « libéral », « moderne », « républicain », assimilé qu’à cet « islam » juridico-moraliste, castrateur, apocalyptique, culpabilisant et bigot).
Dans la littérature traditionnelle arabe, al-adab, il est coutumier de célébrer les hautes figures de la civilisation. A propos de la futuwwa, Laila Khalifa souligne que trois noms se dégagent et qui se situent dans une période antérieure à la naissance de l’islam historique, trois figures archétypiques : Imru’ al-Qays, ‘Urwa Ibn al-Ward et Hatim al-Ta’i. Elle nous dit que le premier est le prince héros, le deuxième, le héros vagabond et, enfin, le troisième, le maître généreux. Plus tard, c’est ‘Ali qui se verra désigner comme le fata par excellence, et cela par le Prophète lui-même : « La fatâ illâ ‘Ali wa lâ sayf illâ dhû al-fiqâr » (Il n’y a pas d’autre fata-chevalier que ‘Ali et il n’y pas d’autre chevalerie que dhû al-fiqâr (nom de l’épée de du Prophète) (pp. 128-145). Nous avons là des figures exemplaires, des paradigmes, des archétypes.
Notre jeunesse musulmane en Europe, comme toutes les jeunesses du monde, dispose de toutes les qualités pour se dresser vers le Ciel, pour explorer la Terre, pour incarner ces vertus précieuses que sont la générosité, la vaillance et la joie. Comme nous le disions, c’est à nous tous et toutes d’être attentifs à ces nouvelles figures de la futuwwa d’aujourd’hui. Elles sont notre espérance.
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Ce site, animé par le Collectif Algérie-Machreq, est consacré à la mémoire historique de la Nation arabo-musulmane, à l'intellectualité, la spiritualité, la culture, l'expérience révolutionnaire des peuples arabes. La Palestine sera à l'honneur. 


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