Un regard kantien sur la Nation arabe, par Kamel Nasser

Dans sa compréhension des organismes et systèmes, l’immense philosophe allemand Immanuel Kant distinguait, avec raison, dans sa Critique de la faculté de juger, entre la « force motrice » et la « force formatrice ». La fonction de la « force motrice » est de régir les systèmes physiques. Nous sommes ici sur le terrain de la machine. L’énergie qui se déploie est une énergie mécanique

La « force formatrice », elle, est l’énergie qui anime les organismes vivants. Cette force est un principe directeur, un plan d’organisation, une structure interne qui donne à la fois cohérence et finalité.

Kant, ainsi, distinguait entre l’organique, propre au vivant, et le non-organique, propre à la machine.

Si nous considérons que la Nation arabe est un organisme vivant, et non pas une machine ou un système artificiel, alors il est légitime de poser la question suivante, en reprenant le langage kantien : quelle est la « force formatrice » de cette Nation ? C’est la réponse à cette question qui permettra de clarifier sa conception du monde. Certains mettront l’accent sur l’origine ethnique, d’autres sur l’origine géographique, d’autres encore verront dans le « mode de vie » la « force formatrice » de la Nation.

Voici ma réponse personnelle :

La « force formatrice » de la Nation arabe est une force qui combine plusieurs « métaux », exactement comme la fabrication d’une épée. Celle-ci, souvent, est un alliage de fer, de carbone, de chrome. Mais ce qui compte, outre la qualité intrinsèque de chaque métal, est d’atteindre la juste température de fusion de l’alliage, qui permet de donner une unité à l’arme. Quels sont, pour l’organisme national arabe, les différents métaux immatériels nécessaires ? Il y a bien sûr l’islam, comme souffle de vie, principe d’animation spirituel. C’est la force de la foi qui trouve son essence dans l'histoire des révélations religieuses, histoire dont le point culminant est la révélation coranique. La langue arabe est l’autre métal de l’alliage. Mais, la langue arabe ne doit pas être comprise comme un simple outil de communication : elle est une structure de l’âme civilisationnelle des peuples arabes. Et, le fait que cette langue soit la langue du Saint Coran, vient renforcer sa dignité. Troisième métal de l’épée arabe, l’aventure historique des peuples arabes, aventure qui court depuis 10 000 ans, depuis le Néolithique et les premières cités du Croissant Fertile jusqu’au Yémen. Au sein de cette temporalité active, ces peuples ont démontré une ingéniosité grandiose, et manifesté une fantastique créativité culturelle (littérature et création de mythe, langues et écritures, états et empires, droit et science, spiritualité et agronomie…). Séparément, aucun de ces métaux ne peut être le principe d’organisation et de cohérence de la Nation arabe.

La « force formatrice » qui fait que la Nation arabe est un organisme vivant est d’abord cette combinaison, cet alliage entre l’islam, la langue et l’histoire. Ils sont les Constantes de notre Nation. Nous leur devons fidélité.