Connaissez-vous Ahmed Jawdat el-Hashimi, أحمد جودت الهاشمي ?, par Kamel Nasser

En Algérie, son nom est inconnu, malheureusement ! Ahmed Jawdat el-Hashimi fut le grand théoricien et praticien des sciences de l'éducation et de la pédagogie dans une perspective nationale arabe. Son engagement pour la cause nationale arabe était sincère, et efficace. Il est un exemple vivant de ce qu’il faut faire.

out commence en 1867, lorsque sa famille quitte l’Algérie occupée et colonisée par la France pour le Bilad ech-Cham. Et c’est à Damas, en 1887, que naît Ahmad el-Hassani el-Djazairi (أحمد الحسني الجزائري ). Très vite dans sa scolarité, au sein de l’école élémentaire, son professeur, le cheikh Sa’id el-Charif (الشيخ سعيد الشريف) remarqua les qualités intellectuelles du jeune algérien issu de l’émigration, notamment dans les sciences mathématiques. Le directeur de l'école décida, en 1899, de l’envoyer à Istanbul, la capitale impériale, pour qu’il puisse approfondir ses connaissances, au sein de Dar el-Shafaqa. Les frais furent pris en charge par l’autorité publique, car sa famille était pauvre. L’excellence et la supériorité du jeune garçon étaient reconnues par tous, et c’est là qu'on décida de l’appeler Ahmed Jawdat el-Hashimi, afin de vanter son mérite. Cette fois-ci, ce sont les autorités ottomanes qui envoyèrent en France. Il se spécialisa dans les sciences mathématiques et obtient une licence en 1913. Il retourne à Istanbul où on lui proposa un poste de professeur de mathématiques. Mais son plus vif désir est de revenir en Syrie. Il est nommé professeur à Beyrouth, à l'école caritative Makassed. Ensuite, il s’installera à El-Qods, jusqu’en 1918.

Après le démantèlement de la présence ottomane, et la chute de l’empire, il revient à Damas, et intégra la prestigieuse école Maktab Anbar. Il en deviendra d’ailleurs le directeur. Mais les Français, au début des années 1920, attaquèrent la Syrie et imposèrent sa domination à travers un mandat. La résistance nationale syrienne fut exemplaire et rude, et des milliers de patriotes donnèrent leur vie pour la délivrance de la patrie. Les Algériens de Syrie contribuèrent à la résistance, et nous connaissons notamment le martyre d’un petit-neveu de l’Emir ‘Abd el-Qader, l’émir ‘Iz ed-Dine. Ahmed Jawdat el-Hashimi participa au soutien aux révolutionnaires.

Au cours de leur occupation, les Français essayèrent de supprimer la langue arabe dans le secteur de l’enseignement des mathématiques. Leur argument était que la langue arabe souffrait d’un déficit dans le vocabulaire scientifique. Ahmed Jawdat el-Hashimi a littéralement déconstruit cet argument colonial-raciste, et montré au contraire la capacité de la langue arabe d’exprimer un savoir rationnel. Pour cela, il a exploré brillamment et avec rigueur, avec l’aide d’autres professeurs patriotes, l'histoire arabe des mathématiques, de l’Antiquité à l’époque moderne. Son idée est de montrer que la langue arabe pouvait largement être un vecteur des sciences mathématiques et de son enseignement. Parmi ses œuvres en langue arabe, citons : Livre de géométrie (كتاب الهندسة), Algèbre élémentaire pour les élèves du secondaire en deux volumes (الجبر الابتدائي لتلاميذ المدارس الثانوية في مجلدين).

Mais son projet était de mettre en place une école scientifique d’excellence afin de former une élite de haut niveau capable de porter le développement du pays. École secondaire, elle verra le jour au mois de novembre 1933, la construction ayant été supervisée par l'ingénieur Sulaiman Abu Shaar. Ahmed Jawdat el-Hashimi assurera la direction de l’établissement qui portera son nom après sa mort. L’école est encore ouverte aujourd’hui. Des années 1930 jusqu’aux années 1960, elle fut une authentique école de cadres de la renaissance syrienne et arabe. Nombreuses furent les manifestations nationales et anticolonialistes qui partirent de ce lieu. Ahmed Michel ‘Aflaq et Salah el-Bitar, qui fondèrent le Parti de la Résurrection Arabe Socialiste (Ba’th) passèrent par cette école.

Jusqu’à sa disparition, il assumera de nombreuses responsabilités officielles, notamment en devenant le secrétaire général du ministère de l'Éducation, après avoir celles de directeur l'enseignement primaire, puis de directeur de l’enseignement secondaire. En 1949, Ahmed Jawdat el-Hashimi a reçu l’Ordre syrien du mérite, première classe, pour ses contributions à la vie culturelle, sociale et scientifique de la Syrie.

L’un de ses élèves, l'avocat Dhafer el-Qasimi, publia un témoignage dans le journal El-Ayyam. Il écrivait, parlant de son professeur de mathématiques : « Il était de petite taille, avait un grand prestige, un sérieux profond, abondant en dignité, avare en paroles, souriant rarement, sincère en patriotisme, pieux envers ses étudiants, miséricordieux envers eux. Les mathématiques sont enseignées depuis de nombreuses années dans le bureau de l'Anbar, et des milliers de mathématiciens les ont récoltées. S'il entrait dans la classe, il y avait un silence complet, aucun mouvement ni sommeil, jusqu'à ce que la cloche sonne… Son prestige à lui seul suffisait à maintenir l'ordre. Il ne punissait pas un élève (…), ce n’était pas nécessaire, car celui qui négligeait sa leçon était puni à la fin de l'année en échouant. »

L’Algérie et le Maghreb arabe ne furent pas oubliés par Ahmed Jawdat el-Hashimi. Lors de ses séjours à Istanbul et en France, il avait noué des relations avec les milieux patriotiques algériens. A Damas, il a participé à la création de l'Association pour la Défense du Maghreb. Il est aussi à l’origine, en 1928, d’une association caritative pour aider les émigrés dans des pays arabes, l'Association caritative maghrébine Makassed

Ahmed Jawdat el-Hashimi est mort quelques mois après le déclenchement de la révolution de Novembre, en 1955. Qu’Allah l’accueille dans son vaste paradis.