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في سبيل العروبة الحضارية - Sur le chemin de l'arabité civilisationnelle
28 février 2024

Hommage à l’Irakien Taha Baqir, طه باقر, le maître arabe de l’histoire du Machreq antique, le maître des langues, le fils de Gilgamesh, par Kamel Nasser

Le professeur Taha Baqir, une figure essentielle de l’assyriologie irakienne, est né en 1912 dans le gouvernorat de Babylone, au centre de l’Iraq, plus précisément dans la ville de Hilla. Cette localisation revêt une importance particulière au vu de son destin, celui de passeur de mémoire entre la Mésopotamie ancienne et la Nation arabe d’aujourd’hui. Hilla se trouve à proximité des sites de trois grandes cités de la gloire antique de l’Iraq : Babylone, Borsippa et Kish. De plus, Hilla est célèbre pour avoir été un pilier de la résistance anticoloniale du peuple irakien lors de la révolution de 1920, où un régiment de soldats britanniques fut anéanti. À cette époque, le jeune Taha avait seulement 8 ans. En 2003, la ville deviendra le théâtre de terribles affrontements entre la résistance irakienne et les soldats états-uniens, venus envahir le pays.

 

Dès son jeune âge, Taha Baqir entame ses études dans les écoles primaire et secondaire. Mais son entourage familial (son père et son oncle) et des chouyoukh de la petite ville l’entourent et créent une atmosphère de haute érudition. Il bénéficie ainsi de cours particuliers de langue arabe, englobant la grammaire et la morphologie, ainsi que de littérature arabe ancienne. Il fréquente les écoles Al-Ajurumiyya et Al-Madrasa At-Thanaqiyah (aujourd'hui Al-Markaziyah à Bagdad), ainsi que le Lycée Central. Doué, il reçoit une bourse du ministère de l'Éducation nationale et obtient son baccalauréat en section scientifique en 1932, faisant partie des quatre meilleurs diplômés du pays.

 

Le ministère, justement, l’envoie à l'Oriental Institute de Chicago, aux frais du gouvernement irakien, pour se spécialiser en archéologie. Mais, avant de partir pour les États-Unis, et pour préparer son voyage, il rejoint le Safad College en Palestine, où il réussit le British Matriculation. Par la suite, il intègre l'American Institute de l'Université de Beyrouth. Son séjour aux États-Unis est studieux, axé sur l'anthropologie, les méthodes d'excavation, l'histoire ancienne et les langues anciennes telles que l'akkadien, le sumérien et l'hébreu. Il apprend également à lire l'allemand et le français. En 1936, il obtient son Bachelor of Arts, suivi d'une maîtrise en archéologie en 1937. Dans cette aventure, il est accompagné de son ami Fouad Safar, un éminent archéologue qui, tout comme lui, contribuera à la préservation et à la valorisation de l'héritage civilisationnel antique.

 

Le 18 novembre 1938, à son retour en Iraq, Taha Baqir est nommé à la Direction générale des Antiquités, dont il deviendra le directeur entre 1958 et 1963. Par la suite, ce Département évoluera pour devenir l’Institution générale des antiquités et du patrimoine. À partir de ce moment, sa vie est dédiée à apporter une dimension culturelle à la libération nationale arabe, en particulier en développant une conscience patrimoniale profonde. Il demeure au sein du Département des Antiquités jusqu'en 1963. Cet organisme est le fruit d'une collaboration entre lui, Fouad Safar, le Dr Naji al-Asil, et d'autres Irakiens passionnés par la préservation de la mémoire.

 

Bien qu'il soit d'abord un spécialiste des langues anciennes, Taha Baqir a une activité significative sur le terrain. Il mène plusieurs recherches archéologiques au cours desquelles il supervise les découvertes, les relevés et l'enregistrement de nombreux sites archéologiques. Taha Baqir dirige des campagnes de fouilles dans divers sites, en collaboration avec son éminent collègue, le professeur Mohammed ‘Ali Moustafa : en 1941, Wasit, la ville d'al-Hajjaj et Tal ad-Deir à Yusufiyah ; de 1941 à 1947, Aqarquf (Durkorikalzo) ; de 1945 à 1961, Tell Harmal ; en 1960, Tell al-Daba ; de 1956 à 1959, Dokan, Shahrazur. Il supervise également des fouilles et des travaux d'entretien sur plusieurs sites, notamment celui de Babylone.

 

Taha Baqir a toujours eu à cœur de transmettre son savoir, conscient que la sauvegarde et la valorisation du patrimoine nécessitent l'émergence d'une nouvelle génération de cadres culturels irakiens et arabes, maîtrisant les langues et les méthodologies adéquates pour révéler l'histoire enfouie dans les sables. Il a reçu le titre de professeur de l'Université de Bagdad en 1959, mais enseignait déjà les études mésopotamiennes à l'Institut des Hautes Études depuis 1941 (jusqu'en 1960). Au Département d'archéologie de la Faculté des arts, il dispensa des cours sur les langues sumérienne et akkadienne de 1951 à 1963. Il occupa également le poste de professeur principal au Collège des Arts de l'Université de Bagdad à partir de 1961 jusqu'à sa retraite.

 

Le poste de ministre de l’Éducation lui fut proposé, mais Taha Baqir rejeta l’offre en affirmant : « Les antiquités valent mieux que le ministère ». Cela ne l’a pas empéché de nombreuses fonctions dans la société civile irakienne, dans ses secteur académiques et médiatique. Membre (et même Vice-président en 1983) de l'Académie scientifique irakienne, il fut aussi conservateur du Musée national irakien à Bagdad, membre du conseil d'administration de l'Université de Bagdad de 1960 à 1963, et même Vice-président de cette université de 1961 à 1963. Il fut également le fondateur et rédacteur en chef, entre 1945 et 1958, de Sumer Magazine, la première revue entièrement dédiée à l'histoire et à l'archéologie du Proche-Orient ancien.

 

Porteur d’une vive conscience panarabe, il participait, partir de 1977, aux travaux du Conseil du Centre pour la renaissance du patrimoine scientifique arabe. Mais auparavant, il fut, entre 1965 et 1970, consultant auprès du Département des Antiquités, et professeur à l'Université de Libye. Pendant son mandant, Taha Baqir a accompli les tâches suivantes : Formation du personnel du Département des Antiquités ; supervision des travaux de fouilles et de restauration à travers la Libye ; publication d'un certain nombre de documents mettant en lumière les sites archéologiques les plus significatifs du pays (comme Leptis Magna, Khabarata) ; direction du comité de rédaction de la revue archéologique du département libyen des antiquités ; participation à plusieurs conférences scientifiques, représentant le Département libyen des antiquités au Caire en 1968. Après son retour en Iraq, il a repris ses fonctions d'enseignant à l'Université de Bagdad en 1970.

 

Le « lecteur d’argile »

L'un des grands mérites de Taha Baqir résidait dans son habileté et son talent pour traduire les œuvres antiques en langue arabe. On le surnommait le « Le lecteur d'argile » en raison de sa capacité remarquable à déchiffrer avec précision les tablettes d'argile écrites en écriture cunéiforme, notamment en langue akkadienne et sumérienne. Parmi ses contributions majeures figure la traduction de l'épopée de Gilgamesh de l'akkadien vers l'arabe, publiée en 1962. Cette traduction représente un jalon significatif dans la diffusion et la préservation de la littérature et de la culture antiques pour les lecteurs arabophones. Cette épopée de Gilgamesh est considérée comme l'une des plus anciennes œuvres littéraires connues de l'humanité. Son origine mésopotamienne remonte à plus de 4 000 ans. L'épopée de Gilgamesh raconte l'histoire d'un roi héroïque et de son ami Enkidu, créature sauvage. Gilgamesh et Enkidu affrontent ensemble des épreuves et des monstres redoutables. Après la mort d'Enkidu, Gilgamesh entreprend un voyage pour trouver la vie éternelle. Il rencontre Uta-Napishti, le seul survivant du Déluge, qui lui raconte son histoire. Malgré ses efforts, Gilgamesh ne parvient pas à obtenir l'immortalité et retourne à Uruk. Il réalise que la vraie gloire réside dans les actions et les accomplissements de sa vie.

Taha Baqir a également déchiffré des tablettes mathématiques babyloniennes, et à découvert Les Lois d'Eshnunna, qui représentent un corpus législatif de la Mésopotamie antique, datant de la première moitié du XVIIIe siècle av. J.-C., rédigé en akkadien. Elles sont préservées par deux tablettes découvertes à Shaduppum (Tell Harmal), ancien site de Shaduppum, et une troisième retrouvée à Me-Turan (Tell Haddad), qui conserve presque l'intégralité du texte. Selon les indices fournis par l'une des deux premières tablettes, il semble que ce recueil ait été promulgué sous l'égide du roi Dadusha d'Eshnunna, l'un des dirigeants les plus influents de la Mésopotamie à l'époque. Taha Baqir soulignait à ce propos : « Les lois découvertes à Tell Harmal, qui appartiennent au royaume d'Eshnunna, représentent les plus anciens textes législatifs écrits de l'ancienne Mésopotamie. Jusqu'à récemment, le Code d'Hammourabi était considéré comme la plus ancienne loi connue de l'histoire de l'humanité. Cependant, la découverte des lois à Tell Harmal, antérieures d'environ deux siècles au Code d'Hammourabi, en fait les lois écrites les plus anciennes à ce jour révélées par la recherche. »

Taha Baqir est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels figurent Un guide du musée irakien (1942), Introduction à la civilisation ancienne (Muqaddimah fi Tarih el-Hadharat el-Qadimah, 1955-1956), Linguistique comparée (Min Turathuna el-Lugawi, 1978), ainsi qu'Une brève histoire des sciences et des savoirs dans les civilisations anciennes et arabo-islamiques (Mujaz fi Tarikh al-Ulum wa al-Maarif fi al-Hadharat al-Qadimah wa al-Hadhara al-Arabiyah al-Islamiyah). Il s'est également illustré en traduisant en langue arabe plusieurs ouvrages d'auteurs occidentaux, tels qu'Une étude de l'histoire (A Study of History) d'Arnold Toynbee et Les rivières jumelles de Seton Lloyd, ainsi que Tablets from Sumer de Samuel Kramer (1958).

 

Malade depuis 1980, Taha Baqir s'est rendu en Grande-Bretagne pour recevoir des soins médicaux. Il est décédé le 28 février 1984. Qu'Allah lui ouvre les portes de ses jardins célestes. En reconnaissance de ses immenses services dans le domaine des antiquités, l'Union des Archéologues Arabes, dont le siège est au Caire, lui a décerné le Bouclier de l'Union en 2002.

Peu après sa disparition, la revue qu’il avait fondé, Sumer, lui a rendu in hommage dont ces lignes sont extraites : « Le défunt professeur, malgré son abondance de connaissances, l’étendue de sa compréhension et la finesse de son intelligence, était un homme tolérant et humble, aux manières douces, joyeux et aimé, et un ami de tous. Il s'est distingué par sa grande capacité à interpréter les événements de notre histoire ancienne à la lumière des résultats scientifiques matériels fournis par les fouilles et les recherches archéologiques et à analyser leurs données en fonction des faits environnementaux et de la réalité de la société ancienne. (…) Le défunt a contribué sérieusement, aux niveaux arabe et international, à mettre en valeur le visage brillant de la civilisation mésopotamienne en particulier et de la civilisation arabe en général au cours des quarante années de sa vie. » (magazine Sumer de 1984)

 

Pour Taha Baqir, le travail de l'archéologue, du linguiste et de l'historien ne représente pas une fuite du présent ni une errance dans le passé. Au contraire, le défi réside dans la capacité à relier le passé au présent. Il écrivait : « J'ai vu que les antiquités et les ruines mésopotamiennes ne sont pas de simples vestiges muets datant d'époques révolues et isolées. Elles constituent une expression poignante d'une réalité qui doit continuellement élargir son contenu humain en révélant et en développant le potentiel des citoyens mésopotamiens et leurs talents créatifs, tout en les reconnectant une fois de plus à l'Irak et aux Irakiens contemporains. » Il soulignait également : « Nous, les Irakiens, devons découvrir notre histoire par nos propres efforts, avec notre intellect et la logique qui nous caractérisent. »

 

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Présentation
Ce site, animé par le Collectif Algérie-Machreq, est consacré à la mémoire historique de la Nation arabo-musulmane, à l'intellectualité, la spiritualité, la culture, l'expérience révolutionnaire des peuples arabes. La Palestine sera à l'honneur. 


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