La substance arabo-islamique de la conscience nationale algérienne selon Ahmed Mahsas

En 1979, le moudjahid Ahmed Mahsas (1923-2013), qui fut l’un des dirigeants du Front de Libération Nationale, publiait son ouvrage-phare : Le Mouvement révolutionnaire en Algérie de la 1ère guerre mondiale à 1954. Il proposait un « essai sur la formation du mouvement national », en présentant les lignes de force du nationalisme algérien, des insurrections populaires du 19ème siècle jusqu’au déclenchement de la révolution du 1^er novembre, en passant par les dynamiques enclenchées par l’Emir Khaled, l’Étoile Nord-Africaine, le Parti du Peuple Algérien, de Messali Hadj, l’Association des Oulémas Musulmans Algériens, du cheikh ‘Abd el-Hamid Ibn Badis. Ahmed Mahsas revenait également sur les rapports contradictoires avec le parti communiste. Dans l’extrait que nous proposons, il développe une riche réflexion sur les liens organiques qui existent entre la conscience nationale algérienne et la conscience nationale arabo-islamique.

En dépit des limites de la formation étatique, de la spécificité de certains aspects culturels et historiques, cette entité (nationale algérienne, NDLR) forme un tout indissoluble avec les autres entités arabo-islamiques. A tel point qu'aux frontières des pays du Maghreb, il n'y a pas plus de différences entre les populations limitrophes que celles qui existent au sein des populations d'un même pays, entre l'Est ou l'Ouest, le Sud, le Nord ou entre les villes et les campagnes. Ce caractère unitaire, au-delà des particularismes locaux, se retrouve plus ou moins accentué entre tous les pays arabo-musulmans.

C'est dans cette réalité historique et ce cadre bien déterminé que s’emploie ce concept de Nation et de patrie, avec son contenu différent de celui de l’État-Nation. Ainsi il correspond aux réalités humaines et historiques et aux exigences globales de la permanence de la communauté de civilisation. Conscience nationale, patriotisme, nation ou peuple sont inséparables chez les croyants de la conscience qu'ils ont d'appartenir à la Oumma dont la signification universelle est dénuée de tout esprit de racisme. C'est au niveau populaire que ces deux consciences se confondent le plus, sans exclure pour autant ni les conflits, ni les contradictions qui apparaissent dans toutes les sociétés humaines.

L'attachement des croyants à leur histoire, à leurs valeurs, au souvenir des temps glorieux, à la défense de la terre islamique, de leurs biens matériels, constitue une forme « d'expression nationale et patriotique » aussi valable et honorable qu'une autre. Elle n'a rien de « fanatique » ou de « rétrograde » contrairement à certaines affirmations. Ce n'est pas autre chose que la manifestation de la volonté de survie spécifique, le refus des modèles culturels de domination et la défense d'une personnalité historique. Et ce d'autant moins que cette communauté est menacée dans son existence par l’agression étrangère. Elle a alors le droit de mobiliser toutes ses forces et d'employer tous les moyens à sa disposition pour assurer sa continuité, sans se soucier outre mesure des concepts et des critères préétablis.

(Source : Le Mouvement révolutionnaire en Algérie de la 1ère guerre mondiale à 1954. Essai sur la formation du mouvement national, Paris : Editions de L’Harmattan, 1979, p. 24)