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في سبيل العروبة الحضارية - Sur le chemin de l'arabité civilisationnelle
30 mai 2022

Réflexion sur le rapport entre médecine, éthique et libération, par Kamel Nasser

Fanon

Dans les sociétés traditionnelles comme dans les sociétés modernes, le médecin jouit d'un grande notoriété et son statut social le place dans les hautes sphères de la société. En tout cas, il bénéficie d'une reconnaissance, et souvent du bénéfice matériel qui accompagne l'exercice de son métier, l'art de guérir. Pourtant, il n'est pas toujours si évident que cela de savoir si véritablement le médecin contribue à l’émancipation des individus et des collectivités.
Cette question est peut-être incorrecte, mais elle correspond à un défi éthique et politique. Certes, on dira que le médecin, « par vocation », est au service du plus grand nombre et, parmi eux, des plus fragiles. Pourtant, l’histoire réelle de la médecine contemporaine invalide cette « croyance ». Je ne prendrais qu’un seul exemple, celui du rôle de la médecine dans le système idéologique de légitimation du colonialisme, notamment celui de la France en Algérie et en Afrique noire.
Je renvoi, ici, aux travaux du médecin psychiatre martiniquais Frantz Fanon, engagé dans le mouvement algérien et africain de la libération anti-coloniale, et membre du Front de Libération Nationale. En 1959, en pleine guerre de libération du peuple algérien, il écrivait ceci :
"La science médicale occidentale introduite en Algérie en même temps que le racisme et l’humiliation, a toujours, en tant que partie du système oppressif, provoqué chez l’autochtone une attitude ambivalente. On retrouve d’ailleurs cette ambivalence à propos de tous les modes d’être présent de l’occupant. Avec la médecine, nous abordons l’un des traits les plus tragiques de la situation coloniale.
En toute objectivité et en toute humanité, il est bon qu’un pays techniquement plus avancé fasse profiter un autre de ses connaissances et découvertes de ses savants. Quand la discipline considérée vise la santé de l’homme, quand elle a pour principe même de faire taire la douleur, il est clair qu’aucune conduite négative ne saurait se justifier. Mais précisément, la situation coloniale est telle qu’elle accule le colonisé à apprécier péjorativement et sans nuances tous les apports du colonialisme. Le colonisé perçoit dans une confusion presque organique le médecin, l’ingénieur, l’instituteur, le policier, le garde-champêtre. La visite obligatoire du médecin au douar ou au village est précédée du rassemblement de la population par les soins des autorités de police. Le médecin qui arrive dans cette atmosphère de contrainte globale, ce n’est jamais un médecin indigène mais toujours un médecin appartenant à la société dominante et très souvent à l’armée.
Les statistiques sur les réalisations sanitaires ne sont pas interprétées par l’autochtone comme amélioration dans la lutte contre la maladie, en général, mais comme une nouvelle preuve de la prise en main du pays par l’occupant. Le sanatorium de Tizi-Ouzou, les blocs opératoires de l’hôpital Mustapha à Alger, quand ils sont présentés par les autorités françaises aux visiteurs, veulent dire à la fois : « Voilà ce que nous avons fait pour les hommes de ce pays ; ce pays nous doit tout ; sans nous, il n’y aurait pas de pays. ». (Fanon, Sociologie d’une révolution. Paris : François Maspéro, pp. 107-108)
Je me suis permis cette longue citation pour rappeler que la médecine – la « science médicale », les techniques thérapeutiques et le corps médical – peut tout à fait s’inscrire dans une démarche fondamentalement oppressive, et cela indépendamment de la volonté et des « bonnes intentions » du praticien. L’explication à cela tient à ce que la médecine, en tant que structure de l’existence collective, en tant que composante de la réalité sociale, au même titre, d’ailleurs, que l’éducation, ne se réduit pas à un champ de travail interpersonnel, à une simple relation entre le médecin et le patient. En réalité, cette relation ne prend toute sa signification que dans la mesure où nous l’insérons dans le champ de la totalité réellement présente. En ce sens, les questions médicales sont, in fine, des questions supramédicales : politiques, culturelles, éthico-philosophiques.
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Ce site, animé par le Collectif Algérie-Machreq, est consacré à la mémoire historique de la Nation arabo-musulmane, à l'intellectualité, la spiritualité, la culture, l'expérience révolutionnaire des peuples arabes. La Palestine sera à l'honneur. 


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