‘Abd Allah Cheriet entre fulgurance poétique et travail philosophique

C’est en 1970 que ‘Abd Allah Cheriet publie en langue arabe un petit livre de 150 pages (aux éditions SNED) intitulé رماد (Ramâd), qui signifie « Cendres ». Il permet d’entrer dans la complexité de la pensée de notre philosophe nationaliste, et en particulier de toucher du doigt la tension créatrice qui existe entre deux pôles d’affirmation de soi, la poésie et la philosophie. Et Ramâd justement nous propose un tel parcours puisqu’il est composé d’un texte philosophique et d’un recueil de vingt poèmes. Ceux-ci furent rédigés de 1944 à 1950, qui furent en partie les années de sa formation intellectuelle et politique : de l’école coranique à l’école des Badissiens, de l’école primaire française à la Zaytuna de Tunis et jusqu’à Damas et son université. Dans ses vers, ‘Abd Allah Cheriet exprime ses rêves, ses espérances, mais aussi ses questions existentielles. Une immense sincérité les traverse.

Le texte philosophique part, lui, d’un constat concernant la crise de la culture arabe en Algérie (aussi bien dans ses volets arabophone que francophone). Entre l’imitation et le déchirement de l’âme, cette culture fragmente la conscience entre deux groupes sociaux opposés. La réflexion proprement philosophique aux yeux de notre auteur est la voie qui permet le dépassement du dualisme et de construire une unité de l’être. Cette réflexion n’est pas abstraite et il prend appui sur son expérience personnelle. Comment résister au traditionalisme incapacitant et à une modernité étrangère ? Cela ne concerne pas seulement l’Algérie mais toute la patrie arabe. ‘Abd Allah Cheriet sait que la production littéraire arabe est en partie prisonnière du « formalisme ». Au lieu d’être attentive à la vie réelle, aux évolutions sociales, au temps présent, cette production est fascinée par une fidélité aux formes littéraires anciennes, ou par l’Occident. Elle manque de ce dont nous avons besoin, à savoir l’émergence d’une raison philosophique capable de lier maîtrise du destin, créativité et intelligence. Si les intellectuels algériens, et arabes en général, souhaitent assumer leur fonction, et ne pas tomber dans l’imitation qui est une soumission (en fait à l’Occident), ils doivent élaborer une philosophie sociale propre à leur identité culturelle et civilisationnelle.