Six thèses sur le franco-berbérisme, par Kamel Nasser

l. Le franco-berbérisme n’est pas une idéologie homogène, mais un ensemble d'idéologies qui se partagent l’arc politique, allant de l'extrême droite à l'extrême gauche, du racisme néo-fasciste au gauchisme le plus dogmatique, en passant par les courants libéraux et sociaux-démocrates. Il existe même une sensibilité franco-berbériste au sein de la mouvance islamiste.

2. Le franco-berbérisme tire ses origines de deux matrices idéologiques, toutes les deux issues de la pensée colonialiste française. La première matrice est celle de l'idéologie coloniale chrétienne catholique. Cette matrice a inventé la croyance concernant l'existence d'une berbérité procoloniale, issue d’un passé de facture latine et augustinienne. L'autre matrice est celle de l’idéologie coloniale de la gauche communiste. Maurice Thorez, dirigeant du Parti communiste français a mis en place, notamment à partir de 1939, la croyance selon laquelle l'Algérie ne serait pas une entité homogène arabo-musulmane, mais un creuset multiracial multi-ethnique.

3. Le franco-berbérisme se déploie dans trois perspectives spatiales, qui peuvent se chevaucher, mais qu’il faut pourtant bien distinguer : a) le franco-berbérisme kabyliste ou souverainiste (volonté de faire sortir la Kabylie de l’Algérie, afin de créer un Etat kabyle indépendant). Ce courant reconnaît l’arabité de l’Algérie, et c’est pour cela qu’il entend la quitter. b) le franco-berbérisme algérianiste (volonté de transformer l’État national en un Etat multiculturel, multiethnique). Ce courant maintient, contre le courant franco-berbériste séparatiste, l’unité de l’État algérien, mais l'algérianité qu’il défend tribalise l’arabité, la réduisant à une composante ethnique juxtaposée à d’autres composantes ethniques, comme les « Kabyles », les « Chawis », les « Touarègues », les « Mozabites », etc.). c), le franco-berbérisme nordafricaniste (volonté de séparer le Maghreb arabe du Machreq arabe). Ce courant va du bourguibisme des années 1960 à la croyance contemporaine de Tamazgha.

4. Le franco-berbérisme, dans ses diverses formes et idéologies, est profondément ancré dans la trame de l’État national algérien, à travers les réseaux de l’« État profond », cette infrastructure néocoloniale installée dans les années 1950 (notamment à la faveur du Plan de Constantine de 1958). Cet Etat profond est présent dans l’appareil d’État, mais aussi dans les services sécuritaires, les entreprises nationales, le capital privé et la société civile.

5. Le franco-berbérisme possède une forte dimension géopolitique, en raison de son inscription dans les stratégies néocoloniales françaises, israéliennes et marocaines. la lutte contre le franco-berbérisme est une composante de la lutte anti-impérialiste.

6. Le franco-berbérisme est une anomalie culturelle qui ne peut être démantelée uniquement par la force du droit, de la justice, de la lutte antiterroriste et de la lutte contre la mafia et la bourgeoisie compradore. Cette dimension est nécessaire, mais elle est insuffisante. L’un des défis est de promouvoir la mémoire et la profondeur arabo-musulmane de la Kabylie, par-delà l’amnésie provoquée par la désinformation culturelle franco-berbériste. D’une façon plus générale, le franco-berbérisme diminuera au fur et à mesure qu’une authentique révolution culturelle arabo-musulmane se mettre en place, avec la mobilisation des capacités créatrices et imaginatives de l’Algérie arabo-musulmane.