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في سبيل العروبة الحضارية - Sur le chemin de l'arabité civilisationnelle
14 septembre 2023

Une écologie arabo-musulmane des Quatre éléments, par Kamel Nasser

islam ecology 1

Dans une parole de sagesse, notre prophète arabe bien aimé, Mohammed (صَلَّى ٱللَّٰهُ عَلَيْهِ وَآلِهِ وَسَلَّمَ), exhortait les croyants et les croyantes à aller jusqu’en Chine pour trouver la science, la connaissance. La Chine est ici, bien évidemment, un symbole, celui de l’Ailleurs, de l’Altérité. Et les Arabo-musulmans, dans leur aventure civilisationnelle, à partir du 7ème siècle, allèrent jusqu’aux confins du monde connu, jusqu’en Chine. Mais le voyage vers la connaissance s’est aussi effectué dans le temps, afin d’amener dans le présent les richesses de la pensée des âges anciens. Et ils allèrent jusque dans la Grèce antique, qui, elle-même, était fille de l’Egypte et de l’Orient, phénicien et mésopotamien.

C’est à l’un des philosophes grecs du 5e siècle avant notre ère, Empédocle d'Agrigente, que nous devons la philosophie des Quatre éléments : le Feu, la Terre, l’Eau et l’Air. Le monde, dans sa substance, est le résultat d’une combinaison entre ces éléments. Chaque élément n’est pas réductible à sa matière. Il est aussi porteur d’un imaginaire et d’une symbolique spécifiques. Ainsi, la Terre renvoie-t-elle à la stabilité, aux racines, l’Air, lui, désigne les horizons aériens, célestes, spirituels, immatériels, le Feu relève de l’énergie, de l’action, de la destruction (mais aussi de la création), l’Eau, elle, a souvent été associé à la vie, à la fertilité. Des dizaines de milliers de pages furent écrites sur cette dimension symbolique des éléments.

Il était tout à fait normal que la pensée islamique classique, celle de l’Âge d’or, ait intégré ces notions. Les savants - physiciens, mathématiciens, astronomes, agronomes, médecins, etc. - s’appuyaient sur les quatre éléments pour décrire la réalité du monde phénoménale. Les frères de la Pureté (إخوان الصفاء), cette immense école de science et de philosophie basée en Iraq, à Basra, et qui rédigèrent une encyclopédie de 52 épîtres (رسائل) entre le début du 9ème siècle et la fin du 10ème contribuèrent à l’émergence d’une approche arabo-musulmane des quatre éléments. A notre époque, Heidi Toëlle, qui est professeur de littérature arabe moderne à l'université Paris III, auteur de nombreux ouvrages sur les Belles-lettres arabes, a consacré un travail essentiel cristallisé dans son livre Le Coran revisité. Le feu, l'eau, l'air et la terre (1999, Institut français de Damas). Elle y explore la cosmogonie de notre Livre saint à travers les différents visages, expressions et manifestations des quatre éléments.

Pour beaucoup d’esprits sceptiques, ce ne sont là que des propos dénués de sens, et qu’en réalité la pensée des quatre éléments relève d’une pensée « prélogique » (pour utiliser une expression hyper-raciste en usage dans l’ethnologie coloniale du début du 20ème siècle), c’est-à-dire irrationnelle. Certes, le modèle dominant de la rationalité (modèle intimement lié à la « modernité capitaliste » et à son désenchantement, cf. Max Weber) interdit tout usage de la pensée symbolique, car, pour, lui, le réel se réduit au matériel. Mais, heureusement, aux quatre coins du monde, en Orient et en Occident, au Sud et au Nord, d’autres rationalités sont à l’oeuvre et mobilisent d’autres perceptions, d’autres imaginations, et dessinent d'autres espaces-temps.

Les quatre éléments sont l’interface, les médiateurs entre notre réalité humaine (individuelle et sociale) et la Création (el-Khalq), et comme il existe une interdépendance universelle - car la Création est une totalité en mouvement, qui se renouvelle sans cesse -, ils questionnent notre conscience écologique et notre rapport à la Nature vivante. Or, ne serait-il pas justifié d’interroger la crise physique, matérielle, de notre espace-temps, de nos milieux de vie, à l’aune de la philosophie des quatre éléments ? Il y aurait là une formidable occasion de mobiliser une partie de notre héritage civilisationnel afin de soutenir une vision écologique arabo-musulmane. Malheureusement, l’actualité de ces dernières années vient illustrer notre propos. Le tremblement de terre qui vient de frapper le Maroc frère n’est-il pas une manifestation des tourments de la Terre ? De même que les terribles inondations qui endeuillent la Libye sœur témoignage du fait que l’Eau peut aussi être porteuse de la mort. Et les incendies récurrents depuis quelques années qui sévissent dans notre Algérie (et ailleurs) ne montrent-ils pas que le Feu est capable d’amener l’enfer sur terre ? Et l’Air, qui charrie depuis longtemps toutes sortes de pollutions, depuis les gaz et leurs particules en suspension jusqu’aux plus récentes pollutions électromagnétiques issues d’un usage démesuré des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Oui, les quatre éléments sont perturbés. Mais il ne faudrait pas réduire les drames à leurs dimensions naturelles. En effet, le capitalisme occidental (et les relais occidentalisés dans les pays du Sud !) met en place des injustices sociales, spatiales, environnementales et économiques qui font que, lorsqu’un drame survient, toutes les sociétés ne sont pas sur le même plan. La fracture Nord-Sud, l’échange inégal Occident/Périphérie demeurent des obstacles au bien commun et à l’humanisme.

Notre écologie arabo-musulmane, si elle veut être conséquence, se doit d’être anti-impérialiste et anticapitaliste.

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Ce site, animé par le Collectif Algérie-Machreq, est consacré à la mémoire historique de la Nation arabo-musulmane, à l'intellectualité, la spiritualité, la culture, l'expérience révolutionnaire des peuples arabes. La Palestine sera à l'honneur. 


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